Chant du couloir

Un bâtiment public au bord de la zone
Les lattes du parquet dans le couloir

L’air a été vidé de tous les minuscules
Et les courants de pensées pendent

Nous y jetons des seaux de langue molle
Et des flots d’air passés par le cœur

Et parfois leurs rebonds sur les murs
Nous éclaboussent de valeur

Et parfois nous donnent l’impression
De laver du collé

Et parfois nous hausse un peu la langue
Et nos serpillages laissent des serpents

Vivants verts délicats pleins d’eau
Vivants verts nus et respirants

Sur le parquet ciré de l’école
Un couloir d’ombres au bord du trou.

23 mai 2006, Douarnenez

Ça avance

Alors voilà comment ça se passe
Étranger ce matin au café d’un bled à platanes

Coulé sur un banc, j’attends qu’une inconnue
Se fende d’improviser mon enlèvement

Une jeune mère balaye d’un coup
De latte sa gamine déjà chiffonnée

Elle est folle, ce n’est pas un chien
Non, elle a eu peur qu’une auto lui fauche

Ce soir, logé dans un luxe rustique, à Lectoure
Gers, et discours afférents

On dirait la Toscane, grande maison
Tenues par des clartés d’aisance simple

Les chauves-souris se noient dans la piscine
En attendant l’invention des îles

Demain couché dans le fond du camion
Et les chutes de billes d’un orage plein d’eau

Quelque part du côté de Neuvic, Corrèze
Un morceau de route démontée

Plus tard au bord de ton cul
Et la bourre de plumes de tes bras

C’est évidemment là que je voudrais être
Quarante fois mille kilomètres

Ecrire m’a sauvé, me perd
Et ce n’est pas faute d’avoir essayé

D’être calme, d’être calme
D’être absolument refroidi, trente-sept virgule rien

Et puis deux nuits chez moi
Dans la caravane je dors comme un roi

Une espèce d’armoire garnie, rangée
Et tiède, parée pour l’hiver terminal

Ensuite un hôtel à eau chaude
Et verre à dents stérile jetable

Neuf heures au buffet libre-service
A lire le journal d’avant-guerre d’aujourd’hui

Etape chez quelqu’un, rarement la famille
Bilan, douche, chier, invasion quasi gratuite

Etape chez quelqu’un et je ne sais pas si j’aurais
Voulu tant d’amour à la maison

Car alors j’aurais pu devenir n’importe quoi
Et je n’aurais sans doute jamais dû écrire

Ou bien des trucs confiants, souples, des orvets
Des débuts d’épopées solaires montées en flash

Mais levé comme ça vient, un noeud dans la gauche
Du dos dissout à l’eau cinquante degrés celsius

Départ, voilà comment ça se passe
Quelquefois je voudrais être très paisible

Menuisier, cruciverbiste à la semaine
Dans une ville à rue principale

Et m’intéresser à la maturation
Des asperges et aux à priori de coiffeuses

A la maturation des à priori
A la transmutation du samedi (des coiffeuses)

Et pinailler sur de tous petits poèmes
Un millier d’heures par an

A cause de certains millimètres qu’il faut
Dans la transcription des beaux accidents

Et plus tard, brouter la terre
Avec encore en tête de trouver

De quoi ton bras gauche était plein
Et comment m’expliquer ta patience

Il faut terminer cette nouvelle tête de chapitre
Absurde et, oui, la chimie est instable

Mais se souvenir que la terre a déjà porté
Quelle invraisemblable quantité d’yeux

Aujourd’hui j’ai dormi dans une chambre
Garnie de dinosaures en bois

Aujourd’hui j’ai dormi dans un train
Aujourd’hui j’ai dormi, nous filons vers Port-Bou

Et toute la cuisine suit, monobloc
Et avance à grands trains de détails

Où la seule réelle perspective captivante
Est un bois miniature, ton antre

Et comme j’aimerais, ceci dit, pouvoir considérer
Cette infime déclaration comme finale

Mais l’on a beau dire, nous sommes sous l’emprise
Des hormones, beauté finale de la chimie.

22 juillet 2007, La Richevolte, Lectoure, 09h43

Égal à deux

Au fond, je me fiche

Quand j’additionne
Les plats de minutes
Passées dans l’actualité

À m’empiffrer de petites choses
Bien volatiles
D’obtenir moins d’éclairage

D’obtenir moins d’éclairage
Qu’à partager, disons
Deux petits tours de tronc

De la vie d’un arbre
De la vie si solide tard le soir
Sur une pelouse urbaine

Ou bien d’aboutir
-Tous calculs vérifiés-
A moins d’appétit pour la suite

Qu’à pinailler deux minutes
Aux marées hautes
D’un seul buisson

– Trois insectes filaires
Et une goutte de pluie
Rencognée dans un pli –

Je me fiche au fond
Quand j’additionne
C’est imparable

Mais l’ensemble des phénomènes
Égale toujours à deux
Je veux dire un chiffre rond

Virgule quelque chose
Je ne dis pas qu’il faille
Sortir de table

Je dis que tout cela
Produit bien d’une buée
Qui m’encrasse

Et me saoule.

24 juin 2007, au cinéma Rexy, Tours

Volatil

À mon âge
Il est temps d’enfler

Globuler du bide
Acheter des murs

Promettre aux gosses
La surcouche de moelleux

Penses-tu ! Je vaque
À secouer de l’air

Par le canal auditif
Six millimètres de diamètre

Pour débouler dans les cases
Du cerveau

Y purger des bouteilles
Remplies d’avant-hier

D’un certain monde entier
Et d’un certain manque d’appétit

Pour la conserve
En promettre aux gosses ?

Il faut être léger, volatil
Voilà l’héritage de papa

J’ai bien de la chance :
Assez souvent, je m’amuse.

23 mai 2007, Penvenan

Rivière

Chaque fois je voudrais être calme
Comme un arbre et tremper

Dans toutes les dissensions de l’air
Et parmi tous les plis de la rivière

Et tout dilater dans la cuisson
Et tout ramasser dans l’hiver

Mais quelques fois je voudrais
Tomber je voudrais tomber

Chaque fois quelque chose jaillit
Qui me ferait tomber

Et chaque fois la chaise se dérobe
Qui me ferait tomber

Et rien ne se passe et j’ai
Chaque fois l’air de brûler du précieux

À survoler les chaises
Tandis que je voudrais tomber

Chaque fois je cours après les fusées
Foutues courses dans l’avenir

Des vingt prochaines secondes
Trente hypothèses saugrenues

Trente combinaisons de chimie
Et trois et trois font vingt points virgules

Quelques fois ça pourrait tomber
Restriction générale de l’électricité

Mais je commence à me connaître
Et via quatre ou cinq lubies je fonce

La vie est courte la vie est bien faite
Acheter vendre et la vie migre

Ou bien je rebondis contre
Un atome de tourisme intégral

C’est-à-dire de nudité totale
C’est-à-dire de parfaite déconfiture

Quelques fois je voudrais tomber
Quelques fois je voudrais tomber

Et puis quelque chose passe
Un peu de temps passe

Et il n’y a que nu qui m’aille
Pour tremper comme je veux.

14 juillet 2007, Castelfranc

Climat

Il est bien difficile
Je ne vous apprends rien

De basculer sept fois
Par jour, quelquefois neuf

Je n’ai pas tellement compté
De basculer de basculer

J’ai froid j’ai chaud
J’ai faim la bouche encrassée

Les mains collantes
Le linge de corps amolli

Et cinq mille ans d’idées
Pour se climatiser la caboche

Patinent au travers
L’invention du lavabo

Les araignées n’ont pas
De crampons pour la faïence

Il est bien difficile
Je ne vous apprends rien

De s’enlever du crâne
La permanence alambiquée

Des constances avec lesquelles
On a grandi

L’hiver carnassier
L’été sur le point d’imploser

Les routes adhésives
L’espadrille râpée dans les cailloux

Les montées d’anéantissement
Au moindre pet de travers

La poudre et les mèches
Les bricolages intensifs

L’énormité des romans
Gobés dans la nuit

Quelquefois je mords
Le haut de mon bras et j’attends

La seconde serveuse de l’hôtel
Aurait besoin d’un démarreur

D’une piqûre de fioul
D’avaler une abeille

Je viens tout juste de rentrer
Du monde général

Toute la nuit m’enlève
La mauvaise santé

Toujours je voudrais garder
Mon oreille d’espion

Dans les conciliabules
Et les tremblantes

Et les trafics de plumes
Et les risques d’incendie

Et laisser dans des caches
Des rapports de deux lignes

Denses comme des formules
Chimiques déclenchables

Quelquefois je reviens à la vie
De quartier, tout à fait indemne

Je me réveille au monde
D’avant les catastrophes.

Merci.

Bar le Duc, Hôtel de la Gare, le 27 juin 2007