Notion du temps

Je n’ai pas la notion du temps
Je fume sur le seuil du labo

Il pleut parmi les grands arbres
Les gouttes étaient moins longues avant

Pause parmi les équations coûteuses
À teneur élevée en nœuds

L’agenda vient de sauter
Je n’ai plus la notion du temps

Mais les labos sont raccordés
Quelqu’un va bien sonner

Il y a chaque jour dans le journal
Un signal net et précis

Il tombe des traits de vitre
Les arbres ont l’air de couler

Je me souviens d’un ou deux chapitres
D’un rêve attachant

La nostalgie du plein soleil
On y travaille, je n’en veux pas

La nostalgie, non, je n’en veux pas
Je fume sur le seuil du labo

Je mijote un coup, un casse
À la banque du langage

La fin de la clope est synchrone
Avec l’effacement du sas

J’ai l’air d’y retourner
Mais je traîne un peu

On pourrait me l’ôter
À l’arrache-dent, ma planque

Mais pour l’instant
Je n’en fais pas l’étalage

J’ai commencé à me glisser
Dans le fil des phrases

Ce n’est pas une raison suffisante
Pour m’incarcérer dans plus petit

Je n’ai pas la notion du temps
Mais tout tient dans l’alphabet.

13 août 2007, Kergloff-Vihan

L’aile

Je suis votre mauvaise conscience
Dit le vaste territoire de l’enragé

Petit éclair en coin et coup bas
À l’adresse du supposé jury

L’aile est mon antenne dirigeable
Je vois le processus de vos travaux

Tel essaye d’éteindre un feu
Et je le souffle en catimini

Tel ouvre une fermeture éclair
Dans le thorax d’un malade et descend

Chirurgie verte trop complexe
Pour moi, je renonce à regarder

Untel est réfractaire à son sanglier
Untel demande une porte et de la lumière

Untel doit mener sa chanson
Jusqu’à l’air frais du ciel

Untel a besoin que l’on éclaire la jetée
Au débouché du tunnel dans sa falaise

Untel est la vieille bagnole en tête
Dans une course acérée

L’aile brasse l’aile brasse l’aile brasse
Envoie promener les copeaux

De la torréfaction de vos noyaux durs
Durant toute cette nuit de combat

Et tout à coup, je semble aimanté
Par la vaste emprise de la hargne

Merde alors, il faut déjà remiser l’aile
Et rendre la monnaie de chaque pas

Ne chausse pas de fers à cheval
Si tu veux marcher sur l’eau.

15 septembre 2007, Stockach, Tyrol autrichien

Les mouches

Un jour
J’ai fait une boucherie de mouches
Avec une écramouillette
En plastique
Ça m’a guéri d’en tuer plus
Je ne saurais dire pourquoi

Mais il vrai qu’ici
Nous n’en avons guère plus
De cinq à la fois
Et qu’il nous est loisible
De les voir audacieuses
Officielles et véloces

À une époque
J’en enrôlais
Dans des espèces de cirques
Je les voyais capables
D’étirer dans tous les axes
La fort complexe
Géométrie spatiale
À qui nous offrons parfois
Nos légers sommets

Je reconnais
Qu’une seule suffit
À bousiller la sieste

On voit bien qu’elles utilisent
Des méthodes de nouage
Inconnues

On voit bien qu’elles s’adonnent
À des géographies
Sans persistance

Mais comme pour la chauve-souris
La mouche, moins sauvage
Laisse après elle
Ce bref historique du geste
Par lequel on peut présager
De la sous-structure polycristalline
Du monde entier
C’est-à-dire
Sans suite ni terminaison.

7-13 août 2007, Kergloff-Vihan

Ohne gesichte

Lorsqu’enfin je me risque à descendre
Dans le tourbillon mou de la nausée

– À cette époque-là de la nuit
Nous sommes passés, petites bulles

Dans le code interstitiel du monde
Dédale de vitrines miniatures inventives

Quoique circonscrites par notre seule acuité
On est un microscope immergé, là-dedans –

Ma nausée est une plaque tournante
Soumise à la gravité d’un trou

Je n’ai pas de ventre alors
Je n’ai pas de ventre, où est-il passé ?

J’ai le bassin relié à la cage thoracique
Par deux bras de lobe distendus

Et la grande nuit noire, vaste milieu
Et la grande nuit noire à nourrir

J’y verse la fumée, les aliments, l’action
Chaque jour de la vie n’y peut suffire

Qui m’a fichu cet appétit dans le sang ?
Qui m’a dédié à la famine ?

Il serait bien temps de rallier
Quelque part un continent

Il serait bien temps d’employer nos forces
À s’injecter dans les vitrines

Avec toute la volupté nécessaire
Et selon chaque circonstance de matière

Fut-ce au cœur mou de la nausée
Ohne gesichte, ohne gesichte

Perdre là-dedans l’idée de faire carrière
Dans une certaine solidité de soi.

19 septembre 2007, Ouzouer-le-Marché, sur la route

Déluge

Il pleut depuis trois mois
Tout est glissant, mouillé, glauque

Le ciel est bas, le ciel est lourd
Même l’indigène renâcle

Où s’ébrouer dans la brouillasse ?
C’est ça : où s’ébrouer ?

Les bois d’ouvrage sont imbibés
La terre lourde hyper grasse

Les foins pourrissent, les égouts
Djasent, les nations gambergent

On s’éclabousse, on glisse
On se tasse, on s’enfonce peu à peu

On pronostique, on sacrifie
Pourquoi a-t-on toléré la chimie ?

Dans les aliments pour chiens
Et jusque dans le tabac

Quand on y pense, un vrai vertige
Un petit siècle de blouses blanches

Et tout est glissant, mouillé, glauque
Déjà trois mois de bourbe et d’embarras.

30 juillet 2007, Kergloff-Vihan

Autre chose

Je veux passer à autre chose
Ici c’est inconfortable

Je veux déplacer ma vie
D’un mètre d’un quart d’heure

La sortir de ce guêpier
Quand je pense à tout ce qui m’attend

Je veux dire d’autre
Il n’y a pas autre chose ?

Et pendant ce temps
Le sous-marin passe

Toujours le même animal
Ténébreux vital ondulant

Charbonneux dans la pénombre
Intense au plein soleil

Il me semble que je le verrai mieux
Depuis l’autre fenêtre

Lui ou autre chose
Je ne suis pas si regardant

Mais dans le mouvement
Tout a déjà disparu.

5 septembre 2007, Kérangard Divisquin, 2h19