L’examen Moyak

Photo Pascal Rueff

[L’orthographe et la ponctuation d’Andréa, hexapode robotisé, sont adaptées à son moteur de synthèse vocale]


PROLOGUE

[Andréa]
Les spectateurs, investissent les lieux. Les spectateurs, s’installent. Les spectateurs, occupent, l’espace.

[Sasha]
Notre hexapode est mentalisé par un processeur Bi-Kaltia3. Son espérance de vie est de quinze ans, soixante ans, ou trois cents ans ?
Et comme si la vie normale n’était pas assez compliquée, il faut regarder la guerre se curer les dents.
Mais le chômage n’est pas une fatalité. Approche mon garçon. Défait ta ceinture, que je jette un oeil à ton matériel.

[Andréa]
Les arachnophobes, ne risquent absolument rien. Mais le téléphone détruit la sensation de distance. Les spectateurs, s’installent.

[Sasha]
L’organisation mondiale préconise l’allaitement jusqu’à l’âge de quinze ans, au-delà même tant qu’il n’y a pas d’ambiguïté sexuelle.
Durant la séance, le niveau d’écoute ne fera de mal à personne. Chers audiospectateurs… Par pitié, éteignez vos foutus téléphones. Ils recuisent les ovaires et les glaouis, disais-je à mes amies au collège. Elles m’écoutaient.
Néanmoins, la bouche ne doit être ni mouillée ni sèche.
Le porte-parole du Ministère des Trous a notamment déclaré :
Je peux vous assurer que par une température de moins dix, si vous devez travailler pour payer votre prochain repas, la saleté nucléaire est un facteur d’inconfort mineur. Négligeable.

[Andréa]
Chère Madame

[Sasha]
Comme convenu, veuillez recevoir, chère Madame, le détail de ma candidature… Si vous ne voyez pas que je suis le genre de personne idéale, que Dieu nous garde. Si elle n’est pas fatiguée, Dieu.
Le candidat se soumet à l’Examen de son plein gré.
Le candidat sait que sa moindre pensée va courir dans les câbles jusqu’aux oreilles du public et il y consent.
Oui.
Le candidat ne sait pas pour quel djob il joue, il ne connaît pas la durée du contrat et ne sait pas dans quel bout du monde on l’envoie.
Non, ne sait pas.
Et il y consent de son plein gré.
De tout son gré.
En vertu de quoi, le candidat peut demander tout ce qu’il veut. Jeudi dernier, un véritable artiste gagnait dix heures de travail et trente-sept kilos de raviolis. Bien joué ! Votre âme saura-t-elle toucher l’âme du public ? Êtes-vous prêt à vous soumettre à l’examen Moyak ?
Da.
Voulez-vous bien dire à haute et intelligible voix que vous comprenez dans quoi vous mettez les pieds, et que vous l’acceptez ?
Je comprends et j’accepte.
L’organisation mondiale préconise l’allaitement jusqu’à l’âge de trente ans. Et même bien au-delà tant qu’il n’y a pas d’ambiguïté sexuelle.
L’énergie est notre avenir. Économisons-le.
Éteignez vos téléphones portables. Ils contractent l’espace. L’illusion sonore n’est pas plus dangereuse qu’un verre ou deux.
Dans ce rêve, nous sommes deux, toi et moi. À trier la famille, en transit par tout un jeu d’escaliers.

[Andréa]
Les spectateurs, s’installent. Les spectateurs, sont venus rêver.

[Sasha]
Ce n’est pas dramatique.
Par ici, celles et ceux qui feront des petits. Par là, les avortements.
Par ici, celles et ceux qui feront des petits. Par là, les avortements.
Exercice d’articulation. Respiration vertébrale.
Nouvelle Agence Coloniale offre des postes de plusieurs semaines dans les secteurs crades.
Nous allons rêver, dans ce rêve l’homme est obsolète. C’est le rêve que l’on n’ose pas faire.

[Andréa]
J’aime les spectateurs.

[Sasha]
Il faut manger de l’ail.
Grâce à une molécule particulière, l’ail agit sur la peau délicate des asticots et les fripe.
C’est pareil avec les commerciaux. J’ai mis au point une molécule qui les fripe à 90%.

[Andréa]
Les spectateurs, parlent entre eux. Les spectateurs, attendent le début de l’émission.

[Sasha]
Exercice de parcimonie active.
On a quelque chose dans vos cordes, vous planterez des fourchettes. Il faut planter les dents en l’air. On ne vous le redira pas.

[Andréa]
Les vrais spectateurs, font les vrais rêves.

[Sasha]
Un peu après le 26 avril, Dieu descend voir tout ce bordel de l’accident ; il visite la centrale, les ouvriers, leurs descendants, les arbres, les poissons, l’interminable foutoir de sa création, ordres, sous-ordres, et tout ce qui doit se reproduire ; il lui faut deux jours pour retrouver sa manière de penser habituelle.

[Andréa]
Les vrais spectateurs, font les beaux rêves.

[Sasha]
Exercice de démolition.
Dieu se décide à solder sa créature de luxe. Il rédige une annonce.
Donne espèce sophistiquée, 35 000 ans minimum, état moyen, âme torve. Pas sérieux s’abstenir. Contacter ma pomme.

[Andréa]
Parlez, chers spectateurs, que j’aime entendre. Éteignez, veaux délicieux téléphones.
Les spectateurs, attendent, le début de l’émission

[Sasha]
Un jour que Dieu créait des mondes, il sentit que la conscience de soi, dont il tartinait ses animaux de luxe, causait presque toujours des problèmes, elle s’écaillait. Ça démangeait.
Dans son infinie sagesse, Dieu nous ôta de la vie commune. Il mit toute l’humanité dans un rêve qu’il créa exprès.
Nous sommes dans le rêve de Dieu, à nous gratter.

[Andréa]
Nous allons mettre les casques
Antenne, dans moins de deux minutes
Connexion imminente
Câble à gauche
Câble à gauche
Votre casque est un véhicule de transport assez fragile
Ne vous asseyez pas dessus
Réglez-le pour votre confort absolu
Au besoin, enlevez vos boucles d’oreilles
Les coussinets noirs, entourent vos oreilles
Le volume sonore ne vous fera pas mal
Et je veillerai sur vous
Câble, à gauche
Je m’appelle, An-dréa
Antenne, dans trente secondes
Si vous êtes sous l’emprise de l’alcool, ou de la drogue, ou de l’anxiété générale, souvenez-vous, s’il vous plait que certaines traditions humaines considèrent notre vie comme une simple illusion
Dix. Neuf. Huit. Sept. Six. Cinq…

L’île de T.

Photo Julien Lebfèvre

[Le décompte du nombre de jours depuis la naissance de l’île est variable.]

1ère partie : LE LABORATOIRE

[Morgane]
Il est temps d’ajuster les casques. Câble à gauche. Les câbles sont nécessaires, mais fragiles.
Nous sommes au vingt-et-unième siècle et nous avons d’autres chats sur le feu. Mais quelqu’un a jugé qu’il pouvait nous mettre avec vous dans le noir, un temps… Et qu’il pouvait y consacrer de l’électricité…
Éteignez les téléphones s’il vous plaît. Le dispositif est plutôt sensible.
Vous pourrez fermer les yeux. Votre propre noyau fournira l’image.
Cette chose, cette sorte de transport, à laquelle vous êtes conviés, est aussi bien boutiquée que possible. Aussi bien que nous en sommes capables, mon homme et moi. Ce n’est pas tout à fait notre métier. Il nous est arrivé quelque chose…
Sans électricité, ici…
Nous aurions, pour vous figurer l’Île, nos voix nues,
des souvenirs, des conserves – de tomates –, des foulards – de mémés –, un paquet de cigarettes, un bocal d’alcool… Un bouquin d’images pourrait circuler… Mais pas un coquillage où coller l’oreille.
Dans quoi bocaliser la rumeur du sol… de l’air, des feuilles ?
Un bocal de rumeur de feuilles…
La couche d’humus est exceptionnelle.
La région est agricole.
À quelques heures de vol d’ici.
Ça pourrait commencer comme une conférence de connaissance du monde, région lointaine dont on ramène des heures. Des blocs de temps sonore. Une île récente. Vénéneuse…
À quelques heures de nous…
Ça pourrait commencer comme une conférence de connaissance… de soi.
Lumière…

[Alfred]
On nous demande qui nous paye pour aller là-bas.
La vie nous paye.
9 septembre. Je suis allé mettre des pas dans l’ex-village de Bober. Comme on va mettre des fleurs au cimetière. Comme on irait mettre un peu de musique à Malenki-Minki.

[Morgane]
Alfred Tomosi. Son fantôme.
L’Île est tirée d’un journal de bord. Collection d’arrêts. Collections de minutes. Une sorte de campagne… de fouilles.
Ce mannequin est une sorte de… sonde ?
Je ne sais pas à quoi vous vous attendez…

[Pascal]
Le texte charge.
Un mot sur le dispositif…
Cette tête artificielle réplique les mécanismes de l’écoute humaine, laquelle est capable de localiser dans tout l’espace – avant/arrière, gauche/droite, haut/bas – avec seulement deux capteurs : gauche… et droite.
Cet espace tridimensionnel s’écoute au casque. C’est le système d’enregistrement le plus troublant que l’on connaisse : la chose sonore arrive au cerveau sous sa forme habituelle.

[Alfred]
On nous demande qui nous paye
Pour aller là-bas
La vie nous paye.

[Pascal]
Ce modèle est un HSU III, de chez HeadAcoustics. Sauvé de la casse. Tout le système auditif a été remplacé par du 4053. Il s’appelle Vlad. Vlad. Il a trempé dans l’Archipel. Il en sort. Il est probablement propre. Zéro virgule dix ou onze… Voilà.

[Morgane]
Vérifie, tu veux.

[Pascal]
Radiographie du sol… On dirait un oeil…
Une gosse, au bord de l’eau… Mille neuf cent quatre-vingts… Zéro virgule zéro neuf. C’est propre.

[Morgane]
L’alarme est à combien ?

[Pascal]
9…

[Morgane]
Il compte encore là ?

[Pascal]
12, 18…

[Morgane]
Il a pris ?

[Pascal]
Hum… Ça va.

[Morgane]
Ça nous laisse combien de temps ?

[Pascal]
Deux cents fois la dose… une heure et quelques.
Tout fonctionne.

[Morgane]
Mesdames et Messieurs… L’île de T.

Смерть з нічого

Photo Jean Gaumy

(Переклад : Ольга Мітроніна)

Альфа

В понеділок уранці на другому тижні
Бог встає не з тої ноги.

Чи він щойно помітив, що його мирний задум стане хижацьким?

У вівторок уранці на новій планеті
Даровано шанс усім мордам життя, відтінкам буття тощо
Атмосфера – це ніжна фольга.

На завтра уранці
Розхитує Дехто своє просякнуте бензином серце у квітневім гаю

У четвер уранці…

І т.д.

1

Ранком понеділка тижня під номером три
Земля пласка і загороджена з боку, весь океан витіка

У вівторок зрання в булькоті живота
Вся земля на собі замикає краї.
Наступного ранку – кругла земля,
Ранком в четвер там гасають живі.

Уночі на суботу на Сході десь
Діра вироста всередину

І земля починає вивертатися вниз,
А час – давати задній хід.

І живі починають
Вислизати назовні.

2

Уночі на суботу монстр чхає

Майже одразу діра траву згризає, дерева хапає,
Листя в бруньки складає, бруньки воліли б повернутися назад у дерево.
Мужик, що вудить рибу на березі озера повертається з чорним обличчям:
Дихання монстра його засмаглявило.

Друга ночі, відкрилась діра
І теплі сузір’я викида.

Двадцять шосте квітня дві тисячі шостий. Ми наближаємось до діри.
Приїжджаємо на блок пост в звичному одязі.
Взуття обгорнуте целофаном.

Боїмось, що на нас впадуть невидимі краплі діри.

Боїмось, що на нас впадуть невидимі краплі діри.

3

В Чорнобилі все виглядає не так жахливо.
Загороди з сучасного ріжучого колючого дроту на приголомшеній рівнині.

Робочі в рукавичках метуть край трави
На роті пелюстка, голови в білих хустках.

Колба Гейгера рахує краплі, тріщить.
Виключиш, й не буде більше й звуку тут, де ми так далеко від метушливого світу.

Ну от. Ми на краю діри.
Її сердечко б’ється, таке темне. Воно не смердить.
Саркофаг дихає безшумно, як пов’язка.
І не смердить.

4

26-го квітня 1986 року
Четвертий реактор Чорнобильської атомної станції, що в Україні
Додолу кидає шапку.

Цей жест несумісний з жодним навмисним рухом людської породи.

Його не передбачили.
Й нікому знати, як позбирати монстрові чхання.

Питання стоїть уже двадцять років.

Чорнобиль!

Її величність смерть відкрила виразку
Загадковішу, ніж її вірусне військо.
Який прорив у цьому, шановно!

Тканина зрозумілого світу розчинилася.

5

На заході усе під бронею, кажуть експерти,
Ризик близький до нуля.

Усе броньовано, пані та панове,з’єднання під контролем, ми оволоділи мистецтвом пропускних коридорів.

Ризик близький до нуля.
З нудьги він простягує пальці, мацає спайки, лапає вартового… Завжди є слабина.

Ризик близький до нуля.
Тенденція – це безодня. Хочемо йти туди без світла?

Агов!

Хочемо йти туди без електражного
Світла?

6

Вимкніть, будь ласка, світло.

Й подайте свого експерта, щоб я виваляв його у багні.

Щоб він пригадав, звідки він, щоб походив босяка.

Щоб понадіявся трохи в садку, щоб похлюпався у ріці.

Щоб пив воду тільки з криниці, щоб він дихав, щоб розмірковував.
Довго.

Знати, чи хоче він у майбутньому нових дітей,
Як той, з дитбудинку,
З мізком у шкіряній кишеньці на плечі,
А не в черепі, як у всіх.
І при цьому життєздатний.

7

Наша проблема, панове, записана у періодичній таблиці елементів: двісті тридцять дев’ять, плутоній.

Постійно розпадається, змінюється, знервується, труситься, не слабнучи
Викидає ядро гелію кожні сорок дві секунди.
Швидкість дротика: двадцять тисяч кілометрів на секунду.

Якості снайпера, знехтувана сутність, вкрай нетривка.
Військова зброя.
Проникла в людина, її уже не позбудешся.

Наша проблема втратить половину своїх нервів через двадцять чотири тисячі триста вісімдесят шість років.

Наша проблема близька до нуля, панове.

Хіба що на нечутній частоті.

8

Діра зводиться нанівець
Впродовж двохсот сорока тисяч років.

Двісті сорок тисяч років потому вона перестала стягуватися.
Двісті сорок тисяч років потому вона позбулася нервів.

Залп плутонію.
Кожні сорок дві секунди безкінечно мала куля
Вражає верхівки клітин і матерій.

Скільки важить ядро гелію?

Спалах, кожні сорок дві секунди.
Спалах, кожні сорок дві секунди.

Хіба що що6небудь – життя –
Утомиться.

9

Засівайте свої землі дірами. Бронюйте їх.
Наглядайте за ними безперервно.

Ви кажете: ситуація під контролем, системи безпеки полюють на паразитарні сигнали. Ви дихаєте.

Поки ви дихаєте, поки ваш нагляд вічний,
Поки людина може сказати:

Я зайнятий, не ходіть навколо мене.
Я зайнятий, я слідкую за голковим вушком.
Я вдивляюсь у лігво монстра.
Не можна кліпнути й на секунду.
Я вдивляюсь у чорне око лігва монстра.

А там нічого не видно.

10

А потім одної похмурої неділі
Чи десь у западинці на лікті темної ночі.
У п’ятницю пізно, далеко за північ
Думка вас зраджує.

На секунду ви перестаєте дихати за протоколом.
На секунду, а монстр вже знає.

Ви відвели погляд на секунду, а може й менше секунди.
Діра про це дізналися.
Тої ж миті око лігва – це бездонний крутоворот.

Монстр відкривається, він відчинивсь.

Час це зрозуміти, уже запізно відпускати
Не знати яку кнопку.

11

Сталося.
Хату одного чоловіка ховали на його очах.
Ховали хати, криниці, дерева, ховали землю.
Її нарізали, згортали в рулон і закопували.
Сталося.

У людства не буде досить часу, щоб витерти Чорнобиль.

Щодо того, щоб його забути,
Є ще це людське пюре, з якого в умовах нагальної потреби приготували мазь.

Ми наближаємось до гігантської виразки.
У людства не буде досить часу, щоб закупорить Чорнобиль.

НЕ ПРИТУЛЯЙТЕСЬ ДО НЬОГО ЖИВОТАМИ

12

В неділю 27-го квітня
Автобуси евакуюють місто Прип’ять, сорок вісім тисяч жителів
Намагаюсь уявити

Рахую в автобусах
Як напхати по шістдесят осіб, таких автобусів потрібно аж вісімсот.

Людям нічого не кажуть, їх вивозять на кілька днів.

Чихання монстра притрусило їх плутонієм, а вони того не знають
Місто втрачене, насправді, місто втрачене.

Безпека щойно розійшлася по швам
Лігво налягає на краї, безшумно, розтікається у траві,
Цілує волосся, пташки падають.

Око монстра засвітилось, його сердечко б’ється, таке темне,

І НЕ СМЕРДИТЬ.

13

Заборонено збирати соснові голки.

Випас тварин дозволено, тільки якщо трава вище десяти сантиметрів.

Використання лісу, як для опалення, так і для добування смоли, заборонено.сіно дозволено тільки для робочих коней.
Заборонено використання навозу як добрива.

Постійне проживання населення заборонене.
Присутність осіб без спеціальної перепустки заборонена.

Вивіз за межі Зони
Землі, глини, піску, торфу, лісу, лікарських рослин, грибів, ягід та інших дарів лісу,
За винятком зразків, необхідних для наукових досліджень,
Заборонений.

14

Хай як не вимикай те світло, хай як не стікай потом та кров’ю,
Снайпери з підрозділу «Плутоній» не вдягнуть свої намордники:
Тонни дрібничок викинуті в повітря, призначені збивати з ніг
Дев’ять тисяч поколінь.

Вони грають за іншими правилами
Вони грають свої партії спільно з іншими радикалами періодичної таблиці:
Цезій, тритій, кобальт, уран
За номером двісті тридцять скількісь
Термін розпаду: чотири мільярди років.

Людина – це жорстка істота, повна ресурсів.
Здатна прорахувати подібні речі і навіть покопирсатися там,але
Я не знаю

Треба було втерти один мільйон чоловіків у виразку Чорнобиля.

15

Знаєте, я думаю, що рослини з цим справляться.

Мутація ДНК, її диктати…її примхи…промовляють усе майбутнє.
А ми й не здогадуємось.

Ви знаєте,
У нас добре виходить заповідати своїх монстрів дітям.

Заповідати своїх монстрів дітям у нас вийде гірше,
Ніж у чхмари Чорнобиля.

Рослини з цим справляться.
Навіть почервонівши. Навіть подурівши.
Рослини не забивають собі голову.

Допоки ми не зациклились на певній ідеї про себе, ми виплутаємось.

Ми повинні.

16

Вовчків. Зона 4. Сидить молода жінка.

В колисці, що мала б бути інвалідним візком.
Ця уражена мете траву. Мете траву.
Де, навіть у божевільному світі, можна побачити,що хтось мете траву?
Яке дурне заняття, мести траву.

Віник заражений. Ти його викидаєш.
Відро заражене. Ти його викидаєш.
Звалище заражене. Ти його палиш.
Дим заражений. Ти його палиш.
Зверху падає дощ. Ти його палиш.
Дим потрапляє в траву. Ти її палиш.
Потім ховаєш її. Ти її ховаєш. Земля мовчить. Ти її ховаєш.
Але зверху падає дощ. Аж до криниці. Ти її ховаєш.
Останній у ланці – це звичайний мужик. Ти його ховаєш.
Колишній з руської планети.
Ти його цілуєш.

17

Я не знаю, що було б у наших животах, коли ми спускались у тріщину Чорнобиля, якби зірка Сонце не наглядала за нами.

Жах?

Сталася аварія на четвертому блоці.
Пожежа. Збитки.
Смерті. Тридцять одразу.
Треба було очистити землю від невидимого зла.
Потрібно було відселити корів, бабусь.
Треба було помити землю.

Нарешті розуміємо: нас атаковано, зсередини, з центру.

Відправляємо туди величезні масиви
Тонни й тонни
Спиртного!

18

Приїжджаємо до Чорнобиля трохи озброєні.
Приїжджаємо на фронт. З опущеним забралом. Кентаври Європи.

На чорних паперових конях, полохливих, з надзвичайних свідчень. Жахливі тварини. Чорні, як темна вода. Дрижить земля. Всередині реве швидкість. Тисяча ротів під шкірою, тисяча гострих виразок, тисяча чорних днів. Переходить зі стружки. В галоп.
Новий бич, така біда. Кирилична стружка першої глави. Нової біди. Покриє нам шкіру.
Ми зробили наших коней з уламків людських.
Ми вигодували їх грозами.
Поставили їм на чоло безпрограшну формулу Голема.

Кентаври.

Напівти, напівінший, з цього руського землетрусу.

19

Зараз тихо усе.
Закінчилась війна.
Все сохне, здурівши:
Подайте на все це кілька літечок із свинцевого сонця…

Витонченість проглядає з березового листя.
У вікні однієї квартири, десь у імперії
Чоловік оглядає себе за завіскою.

Він сів і зітхає.
Життя продовжується (ось побачите), та без нього.
Без Анатолія, вже померлого, без Бориса, без Саші.

Колька заходить час від часу

Що їм одне одному сказати?

20

Потім його стан різко погіршився.
Він більше не міг поворухнути ні ногами, ні руками
Він більше не міг сам ні їсти, ні пити.

Його ноги вкрились екземою. Лікар мені пояснив, що це викликано розпадом кісткового мозку і що це кінець.
Він лежав шість місяців. Можна сказати, він майже розклався заживо.
Усі тканини почали розкладатися, так що тазові кістки показалися.
Його страждання полегшити намагалися уколами, таблетками. Та на тілі не залишилось місця для уколів.
Кістки оголилися. Все його тіло згнивало.
Все його тіло згнивало.

Все його тіло згнивало.

21

Витонченість проглядає з березового листя.

Крім того,
Хвилинна стрілка мала зробити крок назад тридцять сім мільйонів разів.
Двадцять років.
Зараз тихо усе.
Здається, війна так далеко.

Пташки втратили відчуття часу, де день, де ніч.
Колгосп більш не продає.
Цілі села зникли з мапи.
Ми їх поскидали у ями.

Плутонієвий годинник тріщить, як у Гейгера.

Людський час відкочується назад.

22

Вози, запряжені кіньми, радіють з винаходу шин.

Цукерки пристають до хромованої обгортки.
Вантажівка не приїхала за молоком.
Рівень цезію на землі вимірюють портативним апаратом.
Чверть магазину – алкогольний вівтар.
Повітря – прекрасний провідник для мобільної телефонії.
Жінок складає навпіл на картопляних полях.

Нова машина – незнайомий посланець.
Сифіліс, дика квітка внизу.
Міліція вас береже.
Бабусі хиляться на лавках.
Коти щось чують.
Діти падають з лелек.

Ми вивчаємо слова зародження людини, слова на пальцях.

23

В момент, як я з вами говорю, там було щось на зразок мови в мові, що нам лизала руки.
А ми були брудні, спраглі, не знаючи цього.
Ми думали…

Наші запаси солярки, процесори наших машин, наше фундаментальне здоров’я,
Я вже не знаю,
Щоб ми впевнились, що колючий дріт забороненої зони поїв, як і всюди, загальний оксид?
Чи на рівнині так само тріскуче?
Чи щось матеріальне пожувало землю?
Чи відклала чорнобильська тварюка личинки?
Чи тимчасовий панцир потріскався?
Чи діти й досі хочуть вирости?
Чи, вийшовши з наших західних газових оболонок, ми збережемо десь
Почуття розгортання?

24

Ми приїхали на чорних конях. У їх грудях копошаться слова мільйона чоловіків, язик кипить.

Якнайшвидше, як тільки дізналися
Похоронний дзвін добирався до нас двадцять років.
Хоча Чорнобиль недалеко.
Але ж йому треба було надолужити втрачений час
На спині непевних книжок. На спинах щілиноподібних людей.

І спішившись з наших кентаврів, нам лизали обличчя, хотіли побачити людське під багнюкою. Хотіли знати, чи…
Гей! Життя продовжується?!
Ми ще родичі після всього?

А ми, що вийшли з західного лона,
Чи ми ще родичі після всього?

25

Та
Коли ми впевнились, що інший – такий самий,
Скільки ж було обіймів там,
У цей самий момент.

Сигнал зірки Чорнобиль проходить крізь двадцятиріччя кривого космосу, щоб потрапити в наші обійми.

Сигнал зірки Чорнобиль проходить крізь двадцятиріччя кривого космосу, щоб потрапити в наші обійми.

Сигнал зірки
Проходить крізь
Наші обійми.

26

« Зязуля »

27

Тут нічого дивитися. Нічого відразливого.

Є незначна слабина.
В постаті вартового.
Чи щось у системі
Гематома.

І зона навколо лігва – тепер сама лігво.
А пил і вітер
Стелять нову зону нового лігва.

Тут нічого дивитись.
Нічого відразливого.

Але монстр Чорнобиль вийшов. Чорнобиль в повітрі.

Скажіть про це дітям.

28

По шкільному коридору йде Вася. Василь Мовчан.
Він шкутильгає. Він курить. Він проходить по низу. Під паркетом.
По пустці внизу. Їх було сто двадцять три.

Василь Мовчан переміщує сто п’ятнадцять хлопців. Прив’язаних до нього. Під паркетом. Шкільного коридору. Майже безшумно.

Він нічний сторож. Семеро ще живі. Між примарами. Вночі.
Товариші, чоловіки рідинної армії.
Пожежні ходили по вогкому паливу.
І не здогадувались.

Колись ми побачимо – так, як я вас зараз бачу, –
Енергію, що бризкає на живих.
Побачимо, як іграшка цього мільйона людей
Передає відтінки темряви.

29

Як побачимо ведмедика зі стуса дитячих іграшок, якого автобуси згидували чекати, переслідувані жовтухою.

І велику ведмедицю бабушок з їх новими зубами.
Й путаного фантома котів.
І як весняна орбіта зігріває долоню долини.
І як цифри біжать наввипередки, аж до запаморочення.
Траєкторії – величезні, віддалені аж до округу Майбутнього.
Й саміт експертів, що заявляють:

Панове, сходимо на берег!

На конференціях дресирувальників ведмедів говорять закодованою мовою, до якої ми ще не створили необхідний переклад.

На чемпіонаті добровільних потерпілих від корабельної аварії.

30

Агов.
У нас є наші сучасні хижі організми.
Я не зміг би, як Канта*, вписати їх назву у поему. Спитайте ваших депутатів.

Це вільні радикали, форми життя, звільнені від земної поверхні.
Ми забули ту пару ляпасів та копняків під сраку, які мали їх породити на світ. Вони автономні.

Десь один освічений муж каже:
«Ця аварія зашкодить бізнесу;я зроблю дзвінок і почнемо; трохи вправності, і ми продамо результати експертизи навіть руським.
А якщо зможемо показати, що плавка реактору коштувала життя, скажімо, тридцяти погано підготованим пожежникам, ми виймемо з себе колючку ядерного ризику.

Щодо іншого, хто визначає норми? Ми, освічені мужі.»

*Канта – соліст гурту «Noir désir»

31

Ми закриваємо в ящик очне яблуко монстра, що вихнуло.

Весняна орбіта гріє долоню долини.

Перетинаємо зону, прикипівши до вікон, наші монстрики хочуть побачити.

Не довіряй циклопу.
Навесні око вибухає і вивільняє гамети.

Вони ніколи не потрапляють в природу…
Це наші лабораторні тварини.

Наші монстрики хочуть побачити,як справляється їх дідусь.

На сонці, ми дозволяємо їм прикипати до вікон, безголосо кричати.

Як же ж вони не звикли радіти.

32

Тепер,

Як ми звідти повернулися
Потрібно було б закупорити діри
Усіма хутряними серпанками чорної ночі
Дивитися сни з усіх сил.

Поробити ремонт по усіх закутках, накидати свіжих в’язок сил, повні лопати звитяги, допастися до збережень «на чорний день».

Збунтувати війська ангелів, що ми їх ховали у дітей.

Ми відкрили форму життя на Володарці, маленькій планеті в передмісті Чорнобиля, чорній зірці, що змусила говорити про себе у тисяча дев’ятсот вісімдесят шостому році.

33

Про що ти згадаєш?

Це ім’я, Чорнобиль, не мало б ніколи дістатися до нас, хіба що як ім’я музиканта. Чи астронома. Чи видатного письменника-п’янички.
Чорнобиль увійшов у мову: новий вид монстра.

Зеленкуваті ляльки в некротичних прип’ятських квартирах живуть своїм життям. Що нас більше не стосується.

Образ чоловіків, в їх самурайських обладунках японських нетрів.
Вони бігають по дахові реактора № 3.
Треба повернути тварюці її фізіологічні рідини.
Уперше в загальній світовій історії
Ми руками збирали
Уран,
Роздратований вкрай.

34

А що інше?

Важкі військові гелікоптери припнуті на полях. Неторкані і бичачі.
Саркофаг монстра під снігом: хочемо показати, що він не тане.
Діти в сирітському будинку. Діти, що їх не впізнали власні матері. І не без причини.

Знаєш, ми тут на краю знайомого світу.
Гості співають у садку на честь хрестин маленького козачка Тата Славіка.
В резервації досить добре живеться.

Присутність звіра, як таємничий хід вечірнього поїзда на беззаперечному схилі надвечір’я.

Ми тут бідні.
І ми в авангарді.

35

П’ятсот тисяч дітлахів живуть на заражених територіях.

Вони вже старі. Погано функціонують.
Ви таких не захочете.
Ви таких не захочете мати у себе.

Ми не впевнені,
Що вони наші.
Ми не були настільки впевнені, щоб бути їхніми.

Як вам сказати…

Любий монстре,
Дякую.
Що зацікавив моїх монстрів
Сповзанням людини.

36

Пішли…

Сирена реве, сигнал, півтори хвилини, хлопці.
Вперед, два помахи лопатою
Сирена! Тікаймо… Кидай усе!

Дев’яносто секунд на даху
Вишморгувати неможливе
Твої Дев’яносто секунд, кинуті в прискорювач частинок.

Ми тут перетворюємо повільність.
Ми тут помираємо з нічого.

З самого початку ніжності
Думаємо про когось іншого, деремося на драбину, не знаємо

Нас щойно віддано на попіл.

37

« пасаж »

38

Людська історія відкручується назад
З року шостого вісімдесят дев’ятсот тисяча квітня двадцять шостого
П’ятниці
Першої години двадцяти трьох хвилин ранку.
Три. Два. Один.

Людського часу не досить, щоб подивитись цей фільм цілком.

Розрив ядра генерує анти час.
Або відкочування назад захищає живих.
Або життя нас любить. Я не знаю.

А тепер уже час.
Час вимкнути світло. Чи закрити очі.
Або життя нас любить.
Я не знаю.

39

Любий монстре,

Я бачив –
Були часи –
Потужність Вашого чхання.

Воно не пройшло непоміченим для мене.
У мене всередині численні тріщини.
Чи Ваш приклад демонструє
З моїми надокучливими дрібничками.

Був час,
Щоб я витяг їх на сонце,
Ось ці.

40

26 квітня 1986 року
Реактор № 4атомної станції
В Чорнобилі, Україна,
Європа,
Земля,
Додолу кидає шапку. Чхає.

Він не прикрився рукою.
Мільйон людей прикриваються своїми.

Цей жест несумісний з жодним навмисним рухом людської породи.

Ця новина неприємна.
Всі ці речі неприємні.
Не мають винуватців.
Це так.

41

Серце Совєту розчинилося.
Директора стації засуджено.
Зону зачинено.
Там вмирають з нічого.

Корови дають молоко, лігво дає монстра.
Віра дає нам хліба, горілки,
Своїх пісень тих часів.

Час ще побачить світанок нового всеїдного виду, ще більш пропащого, ніж наш.

Я не знаю, що варто на це сказати,
На новітній стадії людства.
Якщо забути про збитки.

42

Ой скільки ж там було обіймів,
Коли ми впевнилися, що інший
Коли ми впевнилися, що інший – такий самий.
Задуває свічки на тій самій річниці.

Коли ми впевнилися, що інший був живий.
Душив у обіймах,
Що у нього є майбутнє.
Коли ми впевнилися, що інший – це форма майбутнього.
Коли ми зрозуміли, що він був цим для нас.

Скільки ж було обіймів.

Там, у передмісті знайомого світу.

У передмісті знайомого світу.

Омега

І в понеділок уранці четвертого тижня

Ми тут бідні
І ми в авангарді

Дев’яносто секунд на даху
Вишморгувати неможливе.

Все його тіло згнивало.

Я не знаю
Тут вмирають з нічого.

Але коли ми впевнилися, що інший був такий самий

Або життя нас любить.
Я не знаю.

Photo Brice Maire

Mort de rien

Photo Jean Gaumy

Alpha

Au matin du lundi de la deuxième semaine
Dieu se lève d’assez mauvaise humeur
Vient-il d’entrevoir que son plan de paix sera carnivore ?
Au matin du mardi sur la jeune planète
On offre sa chance à toutes les tentatives de faciès, tonalités d’être et compagnie
L’atmosphère est un tendre emballage
Au matin du lendemain,
Quelqu’un balance son coeur imbibé d’essence au jardin d’avril
Au matin du jeudi…
Etc.

 

1

Au matin du lundi de la semaine numéro trois
La terre est plate et cernée par un bord, tout l’océan s’échappe
Au matin du mardi, dans un ballonnement sourd
Tout le bord de la terre se joint à lui-même
Au matin du suivant, la terre est ronde
Au matin du jeudi, les vivants courent autour
Vendredi, dans la nuit, quelque part à l’Est
Un trou s’ouvre vers l’intérieur
Et la terre commence à se rentrer dedans
Et le temps à passer la marche arrière
Et les vivants commencent
À glisser dehors.

 

2

Vendredi dans la nuit, le monstre éternue
Presque tout de suite, le trou rogne l’herbe, se cramponne aux troncs
Les feuilles se rengainent, les bourgeons veulent retourner dans l’arbre.
Le type qui pêche au bord du lac cette nuit-là rentre chez lui le visage noir : l’haleine du monstre l’a bronzé.
Il est deux heures du matin, le trou s’est ouvert
Jets de nébuleuses tièdes.
Vingt-six avril deux mille six, nous approchons du trou.
On arrive au check-point, dans nos habits ordinaires.
Les chaussures bardées de cellophane.
On craint d’être touché par d’invisibles gouttes de trou.
On craint d’être touché par d’invisibles gouttes de trou.

 

3

Quand on arrive à Tchernobyl, ça n’a pas l’air si terrible
Quelques clos de barbelé coupant moderne dans une plaine abasourdie
Les employées balayent les bords de l’herbe avec des gants
Un masque sur la bouche, la tête dans un fichu blanc.
L’ampoule du Geiger compte les gouttes, grésille
Il suffirait de l’éteindre et il n’y aurait plus de signe si loin que nous sommes ici du monde affolant.
Voilà. Nous sommes au bord du trou.
Son petit cœur bat, tout sombre. Il ne pue pas.
Le sarcophage respire sans bruit, comme un pansement.
Et il ne pue pas.

 

4

Le 26 avril 1986
Le réacteur numéro quatre de la centrale nucléaire de Tchernobyl, Ukraine
Jette son chapeau par terre.
Ce geste n’est compatible avec aucun possible de l’espèce humaine.
Il n’a pas été prévu
Et personne ne sait comment ramasser l’éternuement du monstre.
La question s’étale depuis vingt-cinq ans. »
Tchornobyl
Un chancre armé par la maison-mort
Plus mystérieux que sa phalange virale.
Une belle percée ici, Madame.
Le tissu du monde compréhensible s’est dissout.

 

5

Tout est blindé en occident, disent les experts
Le risque tend vers rien.
Tout est blindé, Messieurs Dames, nous avons contrôlé les joints, nous maîtrisons l’art du sas.
Le risque tend vers rien.
Comme il s’ennuie, le risque tend les doigts, palpe les soudures, palpe l’homme de quart… Il y a toujours une faille
Le risque tend vers rien.
La tendance est un gouffre. Veut-on y aller sans lumière ?
Hé !
Veut-on y aller sans lumière
Electrac ?

 

6

Coupez la lumière s’il vous plait.
Et donnez-moi votre expert, que je le barbouille de terre.
Qu’il se souvienne un peu d’où il vient, qu’il aille un peu pieds nus.
Qu’il espère un peu au jardin, qu’il aille un peu bruire à la rivière.
Qu’il ne boive qu’à l’eau du puits, qu’il respire, qu’il réfléchisse.
Longtemps.
Savoir s’il veut pour tout à l’heure des enfants nouveaux
Comme celui-là de l’orphelinat
Avec son cerveau dans une poche de peau sur l’épaule
Au lieu qu’il soit dans son crâne comme tout un chacun
Et viable avec ça

 

7

Notre problème, messieurs, est immatriculé au tableau périodique des éléments : 239, plutonium.
Se désintègre en continu, se modifie, s’énerve, secoue sans faiblir sa structure
Éjecte un noyau d’hélium toutes les quarante-deux secondes.
Vitesse du dard : vingt mille kilomètres à la seconde
Un profil de sniper, une entité négligeable, très instable.
Une arme de guerre.
Infiltré dans l’humain, il est indélogeable
Notre problème aura perdu la moitié de ses nerfs dans vingt-quatre mille trois cent quatre-vingt-six ans.
Notre problème tend vers rien, Messieurs
Quoiqu’à une fréquence inaudible.

 

8

Le trou tend vers rien
Deux cent quarante mille ans.
Deux cent quarante mille ans plus tard, il a cessé de tendre
Deux cent quarante mille ans plus tard, il s’est débarrassé de ses nerfs
La cadence de feu du plutonium
Toutes les quarante-deux secondes un boulet négligeable
Entame les cimes minuscules de la vie substantielle
Qu’est-ce que ça pèse un noyau d’hélium ?
Un flash, toutes les quarante-deux secondes
Un flash, toutes les quarante-deux secondes
À force, quelque chose – la vie –
Se lasse.

 

9

Plantez des trous dans vos territoires. Blindez-les
Gardez dessus un œil éternel
Vous dites : la situation est sous contrôle, les systèmes de sécurité fouillent les signaux parasites. Vous respirez.
Tant que vous respirez, tant que votre œil est éternel
Tant qu’un homme peut dire :
Je suis occupé, ne me tournez pas autour
Je suis occupé, je surveille un trou d’épingle
Je fixe l’œil de l’antre du monstre
Il ne faut pas ciller une seconde
Je fixe l’œil noir de l’antre du monstre
Et il n’y a rien à voir

 

10

Et puis un certain dimanche morne
Ou dans le creux du coude de la nuit noire
Un vendredi, tard, aux environs de la bascule,
La pensée vous échappe.
Une seconde, vous cessez de respirer selon la procédure
Une seconde, le monstre le sait
Vous avez tourné l’œil une seconde, peut-être moins d’une seconde
Le trou l’a su.
Aussitôt l’œil de l’antre est ce vortex insondable.
Le monstre s’ouvre, il s’est ouvert.
Le temps de le comprendre, il est trop tard pour lâcher dessus
On ne sait quel bouchon.

 

11

C’est arrivé
On enterrait la maison d’un homme devant ses yeux
On enterrait les maisons, les puits, les arbres, on enterrait la terre
On la découpait, on l’enroulait en couche et on l’enterrait.
C’est arrivé
Il n’y a pas assez de temps dans l’avenir humain pour effacer Tchernobyl.
Quant à l’oublier
Il y a cette purée d’hommes dont on fit, dans l’urgence une pommade.
Nous approchons d’un chancre géant.
Il n’y a pas assez de temps dans l’avenir humain pour boucher Tchernobyl
N’y mettez pas la peau du ventre.

 

12

Le dimanche 27 avril
Les bus évacuent la ville de Pripiat, quarante-huit mille habitants
J’essaye de visualiser
Je compte en bus
Des fournées de soixante personnes, il en faut huit cents
On ne dit rien aux gens, on les éloigne quelques jours
L’éternuement les a talqués au plutonium, ils ne le savent pas
La ville est perdue, en fait, la ville est perdue.
La sécurité vient de péter
L’antre pousse sur son bord, sans bruit, se répand dans l’herbe
Embrasse les cheveux, les oiseaux tombent
L’œil du monstre s’est allumé, son petit cœur bat, tout sombre
Et il ne pue pas.

 

13

Il est interdit de ramasser les aiguilles de pin.
Les pâturages ne doivent s’effectuer que si la hauteur de l’herbe dépasse dix centimètres.
L’utilisation du bois tant pour le chauffage que pour la résine est interdite.
Le foin n’est autorisé que pour les chevaux de trait.
Il est interdit d’utiliser la bouse comme engrais.
L’habitation permanente de la population est interdite.
La présence de personnes n’ayant pas un permis spécial est interdite.
L’exportation en dehors de la Zone
De terre, d’argile, de sable, de tourbe, de bois, de plantes médicinales, de champignons, de baies et autres fruits sauvages des bois
À l’exception des échantillons nécessaires aux études scientifiques
Est interdite.

 

14

On aura beau tout à fait couper la lumière, on aura beau suer sang et eau
Les snipers de la section plutonium ne retourneront pas dans leurs muselières :
Des tonnes de petits riens lâchés à l’air, armés pour latter
Neuf mille générations.
Ils sont tenus à d’autres règles
Ils jouent leurs parties avec d’autres radicaux du tableau périodique
Césium, tritium, cobalt, uranium
Matricule deux cent trente et quelque
Durée de vie : quatre milliards d’années.
L’homme est une petite chose coriace, pleine de ressources.
Capable de calculer des trucs pareils et même d’y mettre un peu les doigts, mais
Je ne sais pas
Il a fallu frotter un million d’hommes sur le chancre de Tchernobyl.

 

15

Je pense que les plantes s’en sortiront, vous savez
La mutation de l’ADN, ses diktats… ses lubies… articulent tout l’avenir
On n’a même pas idée.
Vous savez
On est efficace à léguer nos monstres aux petits.
À léguer nos monstres aux petits, on sera moins efficace
Que l’éternuage de Tchernobyl.
Les plantes s’en sortiront.
Même devenues rouges. Mêmes idiotes.
Les plantes ne se font pas d’idée.
Tant que l’on n’est pas arrêté à une certaine idée de soi on s’en sort.
On devrait.

 

16

Vovtchkyv. Zone 4. Il y a cette jeune femme assise.
Dans ce landau qui devrait être un fauteuil roulant.
Cette abîmée qui balaye l’herbe. Qui balaye l’herbe.
Où, dans le monde même fou voir ailleurs balayer l’herbe ?
Comme il est vain de balayer l’herbe.
Le balai est contaminé. Tu le jettes. La poubelle est contaminée. Tu la jettes.
La décharge est contaminée. Tu la brûles. La fumée est contaminée. Tu la brûles
La pluie passe à travers. Tu la brûles. La fumée passe à l’herbe. Tu la brûles
Alors tu l’enterres. Tu l’enterres. La terre ne dit rien. Tu l’enterres
Mais la pluie passe à travers. Jusqu’au puits. Tu l’enterres
Le dernier de la chaîne est ce type ordinaire Tu l’enterres
Un ex- de la planète russe. Tu l’embrasses

 

17

Je ne sais pas ce que descendre dans la faille de Tchernobyl nous aurait fichu au ventre si l’étoile du soleil n’avait pas veillé sur nous.
La trouille ?
Il y a eu un accident au bloc 4.
Un incendie. Des dégâts.
Des morts. Trente tout de suite.
Il fallait nettoyer la terre d’un mal invisible.
Il a fallu éloigner les vaches, les grands-mères.
Il fallait laver la terre.
On finit par comprendre : nous sommes attaqués, du dedans, du centre.
On y envoie des quantités massives
Des tonnes et des tonnes
De vodka !

 

18

On arrive à Tchernobyl un peu armé.
On arrive au front. Le heaume rabattu. Les centaures de l’Europe.
Sur des chevaux de papier noir, tout en nerfs, de témoignages inouïs. Des animaux terribles. Noirs comme l’eau noire. La surface agitée. La vitesse braille dedans. Mille bouches sous la peau, mille ulcères acérés, mille jours noirs. Il en sort du copeau. Au galop.
Un fléau tout neuf, ce fléau. Le copeau cyrillique du premier chapitre. Du nouveau fléau. Nous ôtera la peau.
On les a construits avec des débris d’homme, nos chevaux.
On les a nourris de tempête.
On leur a posé au front la formule sans faille du Golem.
Des centaures.
À moitié soi, à moitié l’autre, de ce tremblement russe.

 

19

Tout est calme à présent.
La guerre est finie.
Tout sèche, abruti :
Passez-moi sur tout ça quelques étés de soleil de plomb…
Une délicatesse s’en fiche au feuillage des bouleaux.
À la fenêtre d’un appartement, quelque part dans l’empire
Un homme s’observe derrière le rideau.
Il est assis et il soupire.
La vie continue (vous verrez), mais sans lui.
Sans Anatoli, déjà mort, sans Boris, sans Sacha.
Kolkia lui rend visite de temps à autre
Qu’est-ce qu’ils peuvent se dire ?

 

20

Et puis son état a brusquement empiré.
Il ne pouvait plus bouger, ni les jambes ni les bras
Il ne pouvait plus ni manger ni boire seul.
Ses jambes se sont couvertes d’eczéma. Le médecin m’a expliqué que cela provenait de la décomposition de la moelle osseuse et que c’était la fin.
Il est resté six mois allongé. Il s’est quasiment décomposé vivant, on peut dire.
Tous ses tissus ont commencé à se décomposer au point que les os du bassin sont devenus visibles.
On essayait d’alléger sa souffrance par des piqûres, des comprimés. Mais son corps n’avait plus d’endroit où faire des piqûres.
Les os étaient à nu. Tout son corps s’en allait.
Tout son corps s’en allait.
Tout son corps s’en allait.

 

21

Une délicatesse s’en fiche au feuillage des bouleaux.
À part ça
L’aiguille des minutes a dû faire trente-sept millions de fois
Un pas en arrière.
Vingt ans.
Tout est calme à présent.
La guerre semble loin.
Les oiseaux ont perdu le sens du jour et de la nuit.
Le kolkhoze ne vend plus.
Des villages ont disparu sur la carte
On les a poussés dans des fosses.
L’horloge au plutonium grésille chez Geiger.
Le temps de l’homme part en marche arrière.

 

22

Les charrettes à cheval profitent de l’invention du pneu.
Les bonbons collent au papier chromé.
Le lait n’est pas ramassé par un camion.
On mesure le taux de césium au sol avec un appareil portable.
Le quart de l’épicerie sert d’autel aux alcools.
L’air est l’excellent conducteur de la téléphonie mobile.
On casse les femmes en deux au champ pour la patate.
La voiture neuve est un émissaire de l’étranger.
La syphilis une fleur sauvage d’en bas.
La milice vous protège.
Les mémés penchent sur les bancs.
Les chats sentent quelque chose.
Les enfants tombent des cigognes.
On apprend les mots du début de l’homme, les mots manuels.

 

23

Or, il y avait par là, au moment où je vous parle, une sorte de langue dans la langue, qui nous léchait les mains.
Et nous étions sales et nous avions soif et nous ne le savions pas.
Nous pensions…
Nos réservoirs de gas-oil, les processeurs de nos machines, notre santé fondamentale,
je ne sais pas,
Que nous venions voir si les barbelés de la zone interdite avaient mangé comme partout l’oxyde général ?
S’il persistait dans la plaine quelque chose du fracas ?
Si quelque chose de tangible mâchonnait la terre ?
Si la bête de Tchernobyl avait fait ses larves ?
Si le bouclier temporel avait des failles ?
Si les gosses avaient toujours des élans d’homme ?
Si, sortis de nos bulles de gaz occidental, nous aurions quelque part gardé le sens du dépliement ?

 

24

Nous arrivions sur des chevaux noirs. Le poitrail grouillant de la parole d’un million d’hommes, la langue bouillante.
Aussi vite que possible, quand nous avons su.
À venir jusqu’à nous, le glas marna vingt ans.
Ce n’est pas loin Tchernobyl.
C’est qu’il lui fallait remonter du temps parti en marche arrière.
À dos de livres redoutables. À dos d’hommes fissurés.
Et descendus de nos centaures, on nous léchait la figure, on voulait voir l’humain sous la crasse. On voulait savoir si…
Eh ! La vie continue ?!
On est encore de la famille après ça ?
Et nous, sorti du ventre occidental :
On est encore de la famille après ça ?

 

25

Mais
Quand on se fut bien assuré que l’autre était comme soi, quelle embrassade ce fut, par là
À ce moment-là.
Le signal de l’étoile Tchernobyl traverse vingt ans d’espace fourbe avant d’atteindre nos bras.
Le signal de l’étoile Tchernobyl traverse vingt ans d’espace fourbe avant d’atteindre nos bras.
Le signal de l’étoile
Traverse
Nos bras.

 

26

Zia zioulia (chanson)

 

27

Il n’y a rien à voir ici, il n’y a rien d’atroce.
Il y a une faille infime
Dans la posture de l’homme de quart.
Ou quelque chose dans les circuits.
Un hématome.
Et la zone autour de l’antre est maintenant l’antre.
Et la poussière et le vent
Étendent à plus loin la nouvelle zone du nouvel antre.
Il n’y a rien à voir ici
Il n’y a rien d’atroce.
Mais le monstre Tchernobyl est sorti. Tchernobyl est dans l’air.
Dites-le aux enfants.

 

28

Dans le couloir de l’école marche Vassia. Vassili Movchan.
Il boîte. Il fume. Il passe par en bas. Par-dessous les parquets.
Par le vide en dessous. Ils étaient cent vingt-trois.
Vassili Movchan déplace cent quinze gars. Accrochés à lui. Par-dessous les parquets. Du couloir de l’école. Presque sans bruit.
Il est gardien de nuit. Sept sont encore vivants. Parmi les spectres. La nuit.
Les camarades, les hommes de l’armée liquide.
Les pompiers marchaient sur le combustible mou
Et ils ne le savaient pas.
Un jour, quand nous verrons, -Comme je vous vois-
L’énergie époustiller les êtres,
Nous verrons la peluche de ce million d’hommes nuancer la ténèbre.

 

29

Comme nous verrons la Petite Ourse des jouets d’enfants que les bus n’eurent pas le goût d’attendre, poursuivis par la jaunisse.
Et la Grande Ourse des babouchkas, pour leur donner des dents.
Et le fantôme cafouilleux des chats.
Et l’orbe du printemps tiédir la paume de la plaine.
Et les chiffres courir au-devant d’eux-mêmes, avec des effets d’évanouissement.
Des trajectoires, énormes, très loin, jusque dans la circonscription de l’Avenir.
Et les sommets d’experts déclarer :
Messieurs, on embarque !
Dans des conférences de dresseurs d’ours et ce langage chiffré, pour lequel on n’a pas encore formé la traduction nécessaire.
Dans ce championnat de naufragés volontaires.

 

30

Hé.
Nous avons nos organismes carnivores modernes. Je ne pourrais pas, comme Cantat, mettre leur nom dans un poème. Demandez à vos députés.
Ce sont nos radicaux libres, des formes de vie affranchies du sol terrestre. Nous avons oublié la paire de claques ou le coup de pied au cul qui dû les mettre au monde. Ils sont autonomes.
Quelque part, un type éduqué dit :
« Cet accident va nuire au business ; j’appelle untel et on agit ; avec un peu de doigté, on vend même de l’expertise aux Russes.
Et si l’on peut montrer que la fusion d’un réacteur coûte, allez, trente pompiers mal préparés, on s’enlève l’épine du risque nucléaire.
Pour le reste, qui décide des normes ? Nous, des types éduqués. »

 

31

On boucle l’orbite explosée de l’œil du monstre dans un coffre.
L’orbe du printemps tiédit la paume de la plaine.
On traverse la zone, collés aux vitres, nos petits monstres veulent voir.
Méfie-toi du cyclope.
Au printemps, l’œil explose, il libère ses gamètes.
Ça n’arrive jamais dans la nature…
Ce sont nos animaux de laboratoire.
Nos petits monstres veulent voir, comment s’en sort ce grand-père.
Et au soleil, on les laisse se coller aux vitres
Avec des petits cris aphones.
Ils n’ont pas tellement l’habitude de la joie.

 

32

Maintenant
Que nous en sommes revenus
Il faudrait bouchonner les trous
Avec toutes les bouffées de fourrure de la nuit noire
Rêver à toute allure.
Jeter des réparations dans tous les coins, des cordées d’énergie fraîches, des pelletées de prouesses, taper fort dans l’épargne
Ameuter les cohortes d’anges que l’on garde au secret, chez les gosses.
On a découvert une forme de vie sur Volodarka, une petite planète de la banlieue de Tchernobyl, l’étoile noire qui fit parler d’elle en mille neuf cent quatre-vingt-six.

 

33

Tu te souviendras de quoi ?
Ce nom de Tchernobyl, qui n’aurait jamais dû venir à nous qu’aux pieds d’un musicien. Ou d’un astronome. D’un auteur buveur géant.
Tchernobyl est entré dans la langue : nouvelle sorte de monstre.
Les poupées verdâtres dans les appartements nécrosés de Pripiat
Vivent leur vie – ne nous concerne plus.
L’image de ces types dans leurs costumes de bidonville japonais.
Ils courent sur le toit du réacteur numéro trois.
Il faut rendre à la bête ses humeurs.
Pour la première fois dans l’histoire générale universelle
On ramasse avec des mains
De l’uranium très énervé.

 

34

Et quoi d’autre ?
Les lourds hélicoptères de combat punaisés dans les champs. Intacts et bovins.
Le sarcophage du monstre sous la neige : on veut montrer qu’elle ne fond pas.
Les gosses à l’orphelinat. Les gosses que leur mère n’ont pas reconnu. Et pour cause.
Tu sais, on est au bord du monde connu ici.
Les invités chantent au jardin pour le baptême du petit cosaque de Papa Slavik. On vit tout à fait bien dans la réserve.
La présence du fauve est comme ce mystérieux passage du train du soir, dans l’irréprochable pente du soir.
On est pauvre ici
Et l’on est à l’avant-garde.

 

35

Cinq cent mille gosses vivent dans les territoires contaminés.
Ils sont déjà vieux. Ils marchent mal.
Vous n’en voudriez pas.
Vous n’en voudriez pas chez vous.
Nous ne sommes pas sûrs
Qu’ils soient des nôtres.
Nous n’étions pas si sûrs d’être des leurs.
Comment vous dire…
Cher monstre
Merci
D’avoir intéressé mes monstres
Aux glissements de l’humain.

 

36

On y va…
La sirène braille, le signal, une minute trente les gars
En avant, deux coups de pelle
La sirène ! On file… Lâche tout !
Quatre-vingt-dix secondes sur le toit
À moucher l’impossible
Quatre-vingt-dix secondes à soi jetées dans l’accélérateur de particules
On y transmue la lenteur
On y meurt de rien
D’un début de tendresse
On pense à quelqu’un d’autre, on grimpe l’échelle, on ne sait pas
On vient d’être donné à la cendre.

 

37

« Passage » (musique)

 

38

L’histoire de l’homme se rembobine
À partir du six vingt
Quatre Cent Neuf Mille Avril
Vingt-six Vendredi
Une heure vingt trois du matin.
Trois. Deux. Un.
Il n’y a pas assez de temps humain pour voir ce film en entier.
Casser du noyau génère de l’anti-temps.
Ou bien la marche arrière protège les vivants.
Ou bien la vie nous aime. Je ne sais pas.
Et maintenant il est temps.
Ou d’éteindre la lumière. Ou de fermer les yeux.
Ou bien la vie nous aime.
Je ne sais pas.

 

39

Cher Monstre
J’ai vu
–Il était temps-
La puissance de vos éternuements-
Ce n’est pas passé inaperçu chez moi
J’ai plusieurs failles dedans
Ou votre exemple manifeste
Avec mes petits riens
Tracassants
Il était temps
Que je les passe au soleil
Ceux-là.

 

40

Le 26 avril 1986,
Le réacteur numéro quatre de la centrale nucléaire
De Tchernobyl, Ukraine
Europe
Terre
Jette son chapeau sur elle.
Éternue.
Il n’a pas mis sa main devant sa bouche.
Un million d’hommes y mettent la leur.
Ce geste n’est compatible avec aucun possible de l’espèce humaine.
Cette nouvelle désagréable
Toutes ces choses désagréables
N’ont pas de véritable responsable
C’est comme ça.

 

41

Le cœur du Soviet s’est dissout.
Le directeur de la centrale a été jugé.
La zone est fermée.
On y meurt de rien
Les vaches donnent du lait, l’antre donne du monstre
Viera nous donne du pain, de la vodka,
Ses chansons d’avant-veille
Le temps verra poindre une autre espèce
Omnivore à fond perdu que la nôtre.
Je ne sais pas quoi dire qui vaille pour ça
À ce stade de la nouveauté chez l’humain
Si j’oublie les dégâts.

 

42

Mais quelle embrassade ce fut, par là
Quand on se fut bien assuré que l’autre
Quand on se fut bien assuré que l’autre était comme soi
Soufflait le même anniversaire
Quand on se fut bien assuré que l’autre était vivant
Serrait dans les bras
Qu’il avait un avenir
Quand on se fut bien assuré que l’autre était une forme d’avenir
Quand on eu compris qu’il l’était pour soi.
Quelle embrassade ce fut.
Dans la banlieue, là, du monde connu
Dans la banlieue du monde connu.

 

Oméga

Et au matin du lundi de la quatrième semaine
On est pauvre ici
Et l’on est à l’avant-garde
Quatre-vingt-dix secondes sur le toit
À moucher l’impossible
Tout son corps s’en allait
Je ne sais pas
On y meurt de rien.
Mais quand on se fut bien assuré que l’autre
Était comme soi
Ou bien la vie nous aime
Je ne sais pas.

21 juin 2006, Baie d’Audierne, Colognac, Douarnenez, 29 novembre 2006, Penvenan

Photo Brice Maire