Mange-boucle

En bas, une table, un type dans nos âges
Se cure l’oreille en bras de chemise

Contre-plongée sombre, très lente
De nombreuses rampes d’escalier convergent

Une issue de secours tire-bouchonne l’arrière-plan
Remonte une à une les personnes

L’affluence est moindre aux heures de nuit
Mais ce récent bureau déjà ne ferme plus

La table doit provenir d’un théâtre
Le type doit provenir d’un théâtre

Aussi sonore, l’escalier doit provenir d’un lycée
Ces plaignants viennent d’en ville

Par des descentes de cave personnelles
Volées de marches un rien grasses

Il n’est pas question d’expliquer
Comment s’emboîtent autant de bulles

Mais le fait est que chaque plaignant
Noyaute un certain volume étanche

Et quoique les trajets convergent
S’interpénètrent et s’englobent

Tous ces blocs d’air amniotique
Tendent à rester familiers, bien compacts

Du moins dans les premiers temps
De la descente, qui est courte

Car il est vrai qu’autour de la table
L’atmosphère s’étale, inhabitée

Et quoiqu’absolument fatale
Aux spires dont on vient s’extraire

Sa formule, brevetée, est sans incidence
Sur l’intimité du plaignant

À cet étage crucial, l’Agence entretient
Toute l’absorption nécessaire

Et puis deux couples d’oiseaux sérieux chassent
La moindre spore de ritournelles

Il y a autour de la table une belle aura
De beau trou noir et tout y passe

Le type entend douze ou trente plaintes, rote
Décroche : un autre plaignant prend sa place.

(An Ividic, 26 septembre 2008, 10h55, 1er juillet 2010, 0h12, Keraudren, K, 17 janvier 2021)

Début du chant

Vingt siècles et neuf ans
Deux points de croissance
Du côté du vent
La fenêtre semble étanche
Mais tout l’air y passe

C’était un hall sonore
Volume neuf très épais
Mais la seule chose charnue
Fut l’épais vent laminaire
Presque un soulèvement de chats

Dehors, zone éteinte
De la vie des horaires
Les tendeurs dinguent
Aux drapeaux du commerce
Et tout début du chant.

4 mars 2009, Pierrelaye, 1h17

Vacance

Les pieds dans l’eau molle au sud
D’une des îles Caraïbes :

“Quel genre de bête devient-on ?
À manger tous les jours des nourritures vivantes

Du poisson de la mer tiède
Des fruits pléniers ? »

Le type est sorti de ses habitudes
La seule façon d’en faire le tour :

« L’arbre pousse en continu.
Imagine-t-on l’équivalent chez les grands mobiles ?

Un bras neuf sortant d’une épaule ?
Un orifice à air plus haut que le nez ?

Davantage d’emprise aux vents
Davantage de surface de peau

Espèce de grands plis dorsaux ?
Le même genre d’aptitude à cicatriser ?”

Une autre lubie croise la première
La seule manière d’observer l’échangeur :

“Et pas le secours d’une religion !
Les anciennes sont nocives

Les nouvelles sont coûteuses et n’ont pas atteint
Leur masse critique.”

Suivons cette deuxième boucle du doigt
Suivons cette deuxième spire :

“Nous travaillons, pardi !
Nous travaillons à quelque nouveau mythe

Et cette profession n’est pas inscrite
Au répertoire des métiers

Et si l’on peut espérer toucher
Un assez vaste auditoire

-Assez vaste ensemble de tables de nuits-
Ce n’est qu’une ambition de donneur d’air.”

On change de cavalière, sauts d’orbite
Ça commence à valser :

“Nous avons nos restes d’éducation
Qu’est-il bon d’en garder ?

Quoique l’ensemble adhère de la même manière
Le dispensable et l’adopté

Ce travail de crible
Est l’occupation la plus tenace qui soit.”

Une autre boucle attaque, entame
L’espace aérien, au nord de Kiev :

“Nous visons d’habiter -est-ce raisonnable ?-
Où les nucléocrates ont trébuché

Ce serait bien paradoxal, mais
Se peut-il que l’avenir y soit moins anxiogène ?

Ou que l’abandon du terrain
Par les forces vives modernes et leurs trains

Rhinocéros, leurs trains rhinocéros
-La boucle entraîne le doigt-

Nous paraissent rendre possible
Quelque expérience de colonie rétrograde ?”

De boucle en boucle, nous avons atteint
Sinon la boucle-mère, du moins quelque vieillarde

« Suis-je plus inquiet
Que les Juifs transis d’Albert Londres ?

Suis-je moins inquiet
Que les crabes rouges et noires des Salines ? »

Les pieds dans l’eau molle au sud
D’une des îles Caraïbes.

19 février 2009, Keraudren, 23h14 – 6 juillet 2010, Arc-et-Senans

Bureau des plaintes

Elle s’est barrée de la cure
Et l’église liquide

Si j’avais besoin de voir Dieu
La porte est close

Déjà qu’il ne nourrit pas les chats
D’ici qu’il ne paye pas sa dette

A qui la faute
Cet éternel manque de moyen ?

Si on l’écoute, il n’y a qu’à se pendre aux poutres
Et ce n’est pas ce qui manque, remarquez

Je renonce à passer pour normal
Cette permanence est trop courte

Il te dit oui le lendemain non
Et mon reste de salade est mangé

La machine à laver branle tout l’étage
Je dis que ce n’est pas normal ces oiseaux

C’est ça, pose ta bouteille
De pinard sur le buffet

Elle s’est carapatée
Déjà qu’il est laid

Et ça ne m’étonnerait pas
Qu’elle me présente son futur

L’ancien toussait par quintes
Ah ça : jamais pressé d’ouvrir le guichet.

(Qui a brûlé le petit arbre ?)

26 septembre 2008, An Ividic, 9h35 – 30 juin 2010, Keraudren

La chambre

Maintenant qu’elle est morte
Qu’est-ce que tu veux dire ?
Elle est à l’ombre ici
Sous l’église grise
Le ciel est gris je n’aurais pas cru
Que tu viendrais tu vois

Arrivée du curé
Vous êtes idiots ?
Il pousse de la chaussure le capot
De la boîte en pierre
Elle arrive dans deux jours
-Qu’est-ce que tu veux dire ?-

Il détortille de la croix
Une fleur d’argent crassouze,
Te l’offre dans une phrase
Vermeil merveille
Tu grattes : c’est sa montre
Qui commence à battre

Maintenant qu’elle est ailleurs
Il faut l’attendre et où ça donc
Deux pleins jours
Il y aurait bien quelque chambre
Là-haut admet l’homme de main
De Dieu, pour aider un vieux

Une chambre blanche
Une table sous la fenêtre
Prenez votre temps
Dans les étages
Pour descendre à la soupe
Mais je ne l’écoute plus

Donnez-moi du papier
Que je regarde un peu la formule
D’en mettre deux
Dans le monoplace funéraire
Ou n’importe quel autre nouveau
Début d’histoire d’amour

Puisque c’est le pouvoir d’écrire.

31 octobre 2009, Keraudren, 10h23

Désinfection

Nous attaquons la cuisine
Et ses nombreux détails

Le buffet de formica bleu m’échoit
Les ustensiles, les boîtes, les plats

Il est dix heures du matin
Si j’en crois la lumière du balcon

Il faut passer le liquide glissant
Sur chaque centimètre carré

Chaque angle, tout soulever
Mouiller les rainures et les gonds

Chaque dent de fourchette
Chaque picot des râpes

Ça sèche à l’instant sans trace
Ais-je déjà nettoyé ce col de bocal ?

Pourquoi n’utilise-t-on pas des bains ?
Pourquoi n’abandonne-t-on pas ?

Respirer sous le masque est pénible
Et la peau sue dans les gants

Je regarde souvent du côté du balcon
J’attends de voir les oiseaux

Tout cet ennui ne pèserait rien
S’ils se posaient maintenant.

10 octobre 2008, An Ividic, 9h44

Se transporter

En 1492, le psychogéographe Christophe C. s’arrache au monde connu : il confie son organisme à l’idée que l’Ouest a de beaux jours devant lui.
Sur le plan pratique, sa thèse s’appuie sur la capacité des coques en bois à peu pénétrer la surface océanique et sur une grande confiance en la cinétique venteuse.
L’opération repose, en outre, sur la conviction qu’il est devenu impossible de tomber (d’une sphère). Tout va bien.

En 1492 du cathocalendrier, Christophe C. s’embarque avec une poignée de bras. Et pas mal de cuillères à soupe. Les premières plages sont mangées vers la fin de la même année.
Descendre des bateaux incarne illico l’Amiral (principe d’expansion des vanités dans le vide -ici un grand pan de Terres Nulles- et principe de condensation des lubies).
En réalité, Christophe C. ne s’est pas tiré du monde connu, il en a déplacé un peu. Constatant la chose, il se scinde en deux.

L’Amiral se ramène en Europe, son point de départ, muni d’un carnet d’adresses et d’attestations vivantes. Indigènes et perroquets béniront la Castille, berceau des actionnaires.
L’autre rédige, debout sur la plage lointaine, la formule continue par laquelle, aussitôt neuve, la conscience s’embue (principe de bouche bée). Il doit y être encore.
Deux ans plus tard, l’Amiral revient, parcourt la plage, cherche son double : le premier a vieilli, le second a poussé.
Un indigène sort du rideau d’arbres et remet à l’Amiral la moitié perdue du journal de bord local : une seule grande feuille d’un vert nervuré.
Il est connu que l’animal s’en fit presque tout de suite un chapeau.

Or, il suffit d’être couché pour voir les choses différemment. 
La joue sur l’oreiller, eh bien, le fauteuil, la table et l’escalier n’ont plus rien de si pratique.
Plus rien du tout.
 En dix minutes, le principe de l’homme vertical est à ce point devenu saugrenu que l’on perd encore deux secondes à se demander s’il faudra l’inventer.

Ou si le rêve en serait sympathique.

Sans date

L’examen Moyak

Ernest Moyak, franco-turkmène, né en 1979 à Dashoguz d’un père dans la coopération et d’une mère Ouzbek. En 2009, Ernest Moyak définit le principe de l’examen qui porte son nom : un système de transfusion cognitive à base de son binaural ; le procédé est applicable aux tests psychologiques. Déployé dans les processus automatiques d’embauche, l’examen Moyak devient populaire à l’été 2016, en pleine disparition de l’emploi, et notamment grâce à une émission publique francophone qui offre de gagner du travail.

Sans date, Keraudren

Implication immédiate

— Dans ce cas, dis-je à l’animal, il n’y a pas trois solutions, il y en a deux. Et je vais te les dire si tu veux bien patienter dix secondes. La première consiste à déguerpir, quitter cette planète, oui, mon vieux, décamper. Quant à la seconde, la solution sur Terre, je la cherche encore, et tu ferais bien de chercher aussi, vaurien, plutôt que de reluquer cet os de vache.

— Eh bien, dans ce cas, dit l’animal, je vais me le farcir illico, ce nonosse.

Sans date, Keraudren