Rudnia 2.0

[ MEI-MEI ]

Le premier de nos fils sera fabriqué dans l’herbe !

On ne se connaissait pas avant d’arriver ici. J’avais vu sa bobine sur le net et tout, mais on ne s’était pas parlé. On s’est vu à Kiev. Ça va oui, Hamid est fort et on va fabriquer dix garçons… ou bien trois filles ! (rire)
Il faut les deux de toute façon. Moi, je veux simplement le bon nombre d’orteils. La charte est très claire, c’est horrible, le protocole, la sage-femme qui juge et tout, mais on n’a pas les moyens de garder les petits anges cassés.
Peut-être qu’une maman se révoltera.

[ TILDA ]

Tu fais un reportage sur le monastère de Rudnia ?

Si je veux manger une patate, elle ne va pas tomber du ciel. Voilà. D’où je viens, on réfléchit déjà comme ça. Donc, je n’ai pas peur.
J’ai peur d’une chose, si. Rudnia, c’est une île avec du monde autour… Tu vois ça, non ? Qu’est-ce que je lui dirai à ma gamine de treize ans quand ça lui chauffera le derrière d’aller voir ailleurs ? On a écrit des lois là-dessus. J’attends de voir. Mais moi, j’ai dit : « l’étendue des enfants nous attend au tournant ».

[ RACHEL ]

J’ai eu envie de m’essuyer les pieds avant d’entrer

J’ai tout entendu sur les néocolonies ! Surtout les opposants : « Ne signez pas, nom d’un chien, on ne pourra pas vouloir votre perte ! Survivre là-bas sera la porte ouverte à tous les rabais… » Ou bien comme quoi il fallait rester solidaire de l’humanité ou comme quoi non…Collabo, sainte, cobaye, mère porteuse, j’ai tout eu… Des menaces et des bocaux de légumes… Même des préservatifs. Je me suis documentée à fond, mais en vrai, on dirait un peu une autre planète…

[ YOURI ]

Ceci est un déchet nucléaire

Mesurer, baliser, épingler les pépites, tester l’eau : vérifier que la réalité concorde avec les plans… Oui, ça crache pas mal. Quand j’ai débarqué, le type de la commission avait décidé de m’ouvrir les yeux, il sautillait partout : « Ceci, jeune homme, est tout à fait contaminé ! ». Devant le marais, le dosimétriste s’y est mis, les députés, la fille de Bruxelles… Ils avaient l’air de découvrir qu’on s’installait…
Au final, je n’arrivais pas à savoir s’ils se faisaient du souci pour nous ou si on leur piquait quelque chose…

[ ANAÏS ]

Alors si, on se déplie…

Au début, on ne veut toucher à rien. On n’est pas chez soi. Et puis on voit bien que si… Moi, je l’ai vu en rêve. J’ai beaucoup rêvé des anciens habitants. Ils voulaient me montrer les choses, une par une. Les puits, les fruitiers, comment fermer l’étable… Ils n’avaient pas l’air de voir que tout était cassé. Et un matin, j’ai senti que c’était fini, qu’ils n’allaient plus revenir. J’avais eu droit à la visite… d’héritage, comme je dis. Une espèce d’arche. Et je suis bien contente qu’on embarque deux Ukrainiens !

[ BEN ]

Point culminant : 7 mètres

À peu près 250 kilomètres carrés. Six villages et une route encore goudronnée. C’est tout plat. Pins, bouleaux, sable, plus trente l’été, moins trente l’hiver. Pas mal de castors, de cervidés… du loup. Moustiques de juin à septembre, une vraie plaie. Et dans les trois-quatre millions de becquerels au mètre carré. C’est-à-dire autant de millions d’étincelles par seconde. On utilise des foyers fermés pour le bois radioactif, avec un système de filtres. On vide les filtres dans une décharge spéciale… Oui, on éloigne le problème.