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Le grouillement d’oiseaux
Dans le bosquet

Constellation vive
Nuage de petits cris

L’insistant doigté des branches
Sur la tôle du fourgon

Partition de circonstance
Pour un seul auditeur couché

Pointillé minutieux
Sur l’arythmie de la nuit

Le grand tremblement
D’air massif

D’une onde déroulée
Par le percuteur de la cloche

Le chœur des fidèles
Derrière la porte fermée

De l’église assaillie
Par des tombées de lumière.

10 juillet 2005, Villebois la Valette

Un appel

Le renard trace
Dans la toundra blanche

Il cherche quelque chose
Ou il cherche quelqu’un

Quand il trouve une femme
Il s’accouple avec elle

Il en trouve une autre
Et s’accouple avec elle

Il en trouve ainsi plusieurs
Tout au long de la vallée

Envahie de congères
Une chaque année

Et quand il sent
Qu’il s’est assez semé

La voix d’un homme
À travers la porte

De la pièce où je dors
Y jette mon prénom

Avec une légère suspension
Temporelle : Pa-Scal

Un accent de l’est peut-être
Et je quitte mon observatoire arctique

Pour répondre en vrai
A travers la porte

« Oui ! » et « J’arrive ! »
Comme si je ne dormais pas.

14 juin 2005, Douarnenez

Asbirnel

Si tu fermes au soleil
Les yeux, sans serrer

Quatre ou cinq points bleus
Duveteux comme des spores

Signalent derrière les acacias
La constellation d’Asbirnel

Des gribouillis laiteux
Interfèrent un instant

Puis l’astre se dépenaille
Dans le sommet du bosquet

Et la figure mystérieuse, à nouveau
Vaque à sa clandestinité.

6 juillet 2005, Vergt, dans les bois

Antécédent

Un cercle de galets, griffés rouge
Beaux objets mats

Intelligibles à ce petit quelqu’un
Qui n’eut pas d’existence

Intelligibles à lui seul. Et donc non.
Où peut-on jeter ces embryons ?

À quoi peuvent servir ces sortes
De petites souffrances ?

Les plus amples sont les ciels
Au palmarès des grands vides

En bas, les herbes
Et dessus, tout de suite, la charge du ciel

Gosse, j’aimais les pierres, les cristaux
Les volcans, la lune

Les animaux transposés de l’alarme au minéral
Gratter la terre, en s’appliquant

Et puis les croûtes, sans doute
Finissent par livrer leurs tout petits lacs cuisants.

18 août 1995, Gourlizon

Le bal des méduses

Lourd océan, gras molosse
Banquise molle

L’ambassade de l’air
Donne son bal

À n’importe quelle heure
De sous-sol

Pour les volées de mèches
Et vos capuches en gelée

D’un mille neuf cent
Très habile dans l’apnée

Mesdames les méduses
Pour vos volées de mèches

Et vous ornez du même œil
À quatre lobes démodés

Que l’on voit aux cervelles
Des petits esprits

De la chance et du tango
Quand il chancelle et le sait

Sous la peau courante
Et l’épais globe de l’eau.

Avant 2003, Douarnenez

Nouvelles du front

La bataille avec soi
Est la guerre lasse

Elle est écoeurante
Mais la guerre incorpore ça

Les parties ne brandissent pas
De couleurs adverses

C’est inutile dans la cohue
L’observateur s’en accommode

Et dès lors, sa méthode pour voir
L’agrippe à un muscle

Dont l’appartenance
Est une question très abstraite

À ce stade-ci de la guerre
L’observateur n’est qu’un badge

Il visite les muscles
Épinglé au hasard du combat

Et dès lors
Ce qu’il pourra dire du combat

Nécessite l’arrêt du combat
Cela va de soi

Mais la bataille avec soi
Est la guerre lasse

Et, hélas, elle dure.

Sans date, Douarnenez

Nazbrok

Modeste arpenteur
D’un Prince de grève
Dépourvu de fixité
D’alliances, d’impunité

On cloque du pied
A l’aube de l’année
La dorsale sonore
Du sillon du Talbert

Millions d’enclumes
Où fonder
Millions de galets
La molécule
D’un prompt essor

Le talon de l’ouvrier
Tarabuste encore
L’interminable
Essaim du Talbert

Qu’une soudaine gravité
Très haut-placée
Tire en arrière
Les cheveux de la marée

Feu de soude
À la côte
Et valdingue
De clapots
Et giclées de sang gris !

Rendu tout au bout
On observe fumer
La candidature — enfin
D’un archipel

Échevelé dans l’aube
Et très noir
D’un pétage d’encre
Asphyxiée

On le devine,
Les sentinelles ventilent
Après l’apnée
Debout
Aiguës sur les ceintures

Mais la pointe mobile
Du sillon
N’atteint pas
Ces banlieues circulaires

Et seul à l’aube
Nazbrock
Espèce de prince
De la broutille

On pose
Un demi-galet mordu
Au sommet
Du plus occidental
Des trois cairns

Puis la porte se ferme
À mesure
Trois pas derrière soi
Avec un bruit mouillé

Le Prince ira, nomade
Disputer à la lune
L’emprise
De la marée

Atteindre les cités
Nouer des couronnes
Marcher
Sur un cheveu
Mais pour l’heure

Salut
Aux oies bernaches
Au goémon
Et aux nuages

Peuples
De qui je suis serviable
Et affamé
Et peut-être slave

On chevauche
Sur les seuls sabots
De l’arpenteur
La dorsale
Émergée du Talbert.

18 janvier 2000, Pleubian, Sillon du Talbert

En mars

Cinq heures sur la côte
À la fin du mois de mars
L’averse avance dans la baie
Nous presse à l’abri
D’un bar à musique
Avec vue sur soi-même

Cinq heures sur la côte
À Tréboul, Finistère
L’air est neuf et pousse
Les bulles dans nos verres
Un cargo cligne en mer
La pluie hachure la baie

Six heures sur la côte
À la fin du mois de mars
S’il flotte toujours
On ira sous la flotte
Se planquer tout à l’heure
Sous l’arbre à tignasse

Et ce vieux pin cordial
Haussé sur la crique
Frémira, tu verras
Sur ta jeune joue froide
Sept heures sur la côte
Tout le ciel est par terre

A la fin du mois de mars
La vieille peau du bois
Toute cinglée d’averses
S’ébouriffe et défroisse
Par dessus nos affaires
Son ciel flambant vert.

Mars 199*, Tréboul

Décembre

Décembre, vieux froid
Je vais bientôt naître

Je me serre autour du bois
De mon squelette

Je pèse ma petite tête
Dans la paume de l’oreiller

Conférence de sang ce soir
À bord chacun se demande

Ton toboggan nous tente
Vieux froid.

2 décembre 1998, Gourlizon

Particulier cherche à louer quelque chose avec vue

La grosse boule est devenue si petite
Avons-nous grandi ?

Nous réclamons d’avantage de lumière
Avons-nous sombré ?

D’où vient que la maison ces jours-ci rétrécisse ?
Que la lumière du tungstène se mette à respirer ?

D’où vient que le monde ce matin
Cligne comme s’il allait claquer ?

D’où vient que ce type
Se fasse tellement passer pour moi ?

D’où vient qu’il faille, dis-moi
Pour descendre au plus sourd

Et tant se dévorer
Et tellement tourner sur soi

Quel secret d’amour, ma nuit ?
Dis-le, dis-le moi, tout bas.

2 octobre 1993, 30 août 1995, Gourlizon