Se transporter

En 1492, le psychogéographe Christophe C. s’arrache au monde connu : il confie son organisme à l’idée que l’Ouest a de beaux jours devant lui.
Sur le plan pratique, sa thèse s’appuie sur la capacité des coques en bois à peu pénétrer la surface océanique et sur une grande confiance en la cinétique venteuse.
L’opération repose, en outre, sur la conviction qu’il est devenu impossible de tomber (d’une sphère). Tout va bien.

En 1492 du cathocalendrier, Christophe C. s’embarque avec une poignée de bras. Et pas mal de cuillères à soupe. Les premières plages sont mangées vers la fin de la même année.
Descendre des bateaux incarne illico l’Amiral (principe d’expansion des vanités dans le vide -ici un grand pan de Terres Nulles- et principe de condensation des lubies).
En réalité, Christophe C. ne s’est pas tiré du monde connu, il en a déplacé un peu. Constatant la chose, il se scinde en deux.

L’Amiral se ramène en Europe, son point de départ, muni d’un carnet d’adresses et d’attestations vivantes. Indigènes et perroquets béniront la Castille, berceau des actionnaires.
L’autre rédige, debout sur la plage lointaine, la formule continue par laquelle, aussitôt neuve, la conscience s’embue (principe de bouche bée). Il doit y être encore.
Deux ans plus tard, l’Amiral revient, parcourt la plage, cherche son double : le premier a vieilli, le second a poussé.
Un indigène sort du rideau d’arbres et remet à l’Amiral la moitié perdue du journal de bord local : une seule grande feuille d’un vert nervuré.
Il est connu que l’animal s’en fit presque tout de suite un chapeau.

Or, il suffit d’être couché pour voir les choses différemment. 
La joue sur l’oreiller, eh bien, le fauteuil, la table et l’escalier n’ont plus rien de si pratique.
Plus rien du tout.
 En dix minutes, le principe de l’homme vertical est à ce point devenu saugrenu que l’on perd encore deux secondes à se demander s’il faudra l’inventer.

Ou si le rêve en serait sympathique.

Sans date