Vacance

Les pieds dans l’eau molle au sud
D’une des îles Caraïbes :

“Quel genre de bête devient-on ?
À manger tous les jours des nourritures vivantes

Du poisson de la mer tiède
Des fruits pléniers ? »

Le type est sorti de ses habitudes
La seule façon d’en faire le tour :

« L’arbre pousse en continu.
Imagine-t-on l’équivalent chez les grands mobiles ?

Un bras neuf sortant d’une épaule ?
Un orifice à air plus haut que le nez ?

Davantage d’emprise aux vents
Davantage de surface de peau

Espèce de grands plis dorsaux ?
Le même genre d’aptitude à cicatriser ?”

Une autre lubie croise la première
La seule manière d’observer l’échangeur :

“Et pas le secours d’une religion !
Les anciennes sont nocives

Les nouvelles sont coûteuses et n’ont pas atteint
Leur masse critique.”

Suivons cette deuxième boucle du doigt
Suivons cette deuxième spire :

“Nous travaillons, pardi !
Nous travaillons à quelque nouveau mythe

Et cette profession n’est pas inscrite
Au répertoire des métiers

Et si l’on peut espérer toucher
Un assez vaste auditoire

-Assez vaste ensemble de tables de nuits-
Ce n’est qu’une ambition de donneur d’air.”

On change de cavalière, sauts d’orbite
Ça commence à valser :

“Nous avons nos restes d’éducation
Qu’est-il bon d’en garder ?

Quoique l’ensemble adhère de la même manière
Le dispensable et l’adopté

Ce travail de crible
Est l’occupation la plus tenace qui soit.”

Une autre boucle attaque, entame
L’espace aérien, au nord de Kiev :

“Nous visons d’habiter -est-ce raisonnable ?-
Où les nucléocrates ont trébuché

Ce serait bien paradoxal, mais
Se peut-il que l’avenir y soit moins anxiogène ?

Ou que l’abandon du terrain
Par les forces vives modernes et leurs trains

Rhinocéros, leurs trains rhinocéros
-La boucle entraîne le doigt-

Nous paraissent rendre possible
Quelque expérience de colonie rétrograde ?”

De boucle en boucle, nous avons atteint
Sinon la boucle-mère, du moins quelque vieillarde

« Suis-je plus inquiet
Que les Juifs transis d’Albert Londres ?

Suis-je moins inquiet
Que les crabes rouges et noires des Salines ? »

Les pieds dans l’eau molle au sud
D’une des îles Caraïbes.

19 février 2009, Keraudren, 23h14 – 6 juillet 2010, Arc-et-Senans

Bureau des plaintes

Elle s’est barrée de la cure
Et l’église liquide

Si j’avais besoin de voir Dieu
La porte est close

Déjà qu’il ne nourrit pas les chats
D’ici qu’il ne paye pas sa dette

A qui la faute
Cet éternel manque de moyen ?

Si on l’écoute, il n’y a qu’à se pendre aux poutres
Et ce n’est pas ce qui manque, remarquez

Je renonce à passer pour normal
Cette permanence est trop courte

Il te dit oui le lendemain non
Et mon reste de salade est mangé

La machine à laver branle tout l’étage
Je dis que ce n’est pas normal ces oiseaux

C’est ça, pose ta bouteille
De pinard sur le buffet

Elle s’est carapatée
Déjà qu’il est laid

Et ça ne m’étonnerait pas
Qu’elle me présente son futur

L’ancien toussait par quintes
Ah ça : jamais pressé d’ouvrir le guichet.

(Qui a brûlé le petit arbre ?)

26 septembre 2008, An Ividic, 9h35 – 30 juin 2010, Keraudren

Face

Les configurations les plus tordues
Concèdent une veine à la vie brute.

De quoi parles-tu ?

Les arborescences les plus vaines
Bricolent une vrille ascensionnelle.

A qui parles-tu ?

Les confusions les plus robustes
Cotisent toutes à un échappement.

De quoi parles-tu, Pascal ?

L’imbroglio le plus féroce
Trouve à s’auto-lubrifier.

De quoi parles-tu ?

Du moindre mal. Le pire
En produit toujours une goutte ou deux.

Il est si difficile d’y renoncer ?

Les cancers,
Une once de vérité.

Les guerres submersibles,
Leurs bulles indifférentes.

Les déconfitures froides,
Un goût de table rase.

Les corvées de soi,
D’ambitieux relevés. Poèmes ?

Voilà tout ton ciel ?

Et quant à se mettre à mourir
Cette face est fermée.

On l’a su ce matin
Dans un escarpement pénible.

Cette face est fermée
À nos décisions. Tant pis.

Merde au drame et voyons
À quel dégagement gazeux, ce sinistre mène.

21 août 2008, An Ividic, 12h52

Figures et fils

Figures et fils, quoi dire ?
Tête cousue, buée noire
Afflux d’air nerveux
Trou de plein front

Figure et fils, copeaux d’ongle en feu
Quoi dire ? Un doigt flambe, un oeil fond
L’odeur seule
Ouvre des brèches redoutables

Figures et fils, visages d’ambre
Et quoi dire ?
Quelle allure esquissée
Quelle idée de beau liège ?

Tout un attirail d’atomes neufs
Et l’énergie du jaune
M’irriguent à nouveau la tête, la langue
Et de carcasse en carcasse, j’avance.

9 septembre 1989, 1er avril 1991, 16 décembre 1995

La vie migre

Parfois, dans les tubes de peinture, grouille
Empêtrée d’huile, une vie que la toile accueille

Sans savoir que j’allais à moi
Je vins vers vous, par les crocs

L’avenir est vide, c’est délicieux
Puis d’innombrables songes tracent

Je vins vers vous, je ne mène à rien
Mais je peux me seconder

Ma fée marche, le bois se déplace avec elle
Rien ne m’est précieux comme sa fraternité.

Sans date, Douarnenez

A défaut

À défaut de comprendre
On ne comprend que tard

Nous essayons des méthodes
Pour calmer l’éruption

Untel s’accommode de boire
Untel inspire par le ventre

Le vent déplace les arbres
Et moi, je ne dors pas

Un futur livre explique ça
Je ne sais pas qui l’écrit.

18 août 2008, An Ividic, 1h39

La chambre

Maintenant qu’elle est morte
Qu’est-ce que tu veux dire ?
Elle est à l’ombre ici
Sous l’église grise
Le ciel est gris je n’aurais pas cru
Que tu viendrais tu vois

Arrivée du curé
Vous êtes idiots ?
Il pousse de la chaussure le capot
De la boîte en pierre
Elle arrive dans deux jours
-Qu’est-ce que tu veux dire ?-

Il détortille de la croix
Une fleur d’argent crassouze,
Te l’offre dans une phrase
Vermeil merveille
Tu grattes : c’est sa montre
Qui commence à battre

Maintenant qu’elle est ailleurs
Il faut l’attendre et où ça donc
Deux pleins jours
Il y aurait bien quelque chambre
Là-haut admet l’homme de main
De Dieu, pour aider un vieux

Une chambre blanche
Une table sous la fenêtre
Prenez votre temps
Dans les étages
Pour descendre à la soupe
Mais je ne l’écoute plus

Donnez-moi du papier
Que je regarde un peu la formule
D’en mettre deux
Dans le monoplace funéraire
Ou n’importe quel autre nouveau
Début d’histoire d’amour

Puisque c’est le pouvoir d’écrire.

31 octobre 2009, Keraudren, 10h23

L’aile

Je suis votre mauvaise conscience
Dit le vaste territoire de l’enragé

Petit éclair en coin et coup bas
À l’adresse du supposé jury

L’aile est mon antenne dirigeable
Je vois le processus de vos travaux

Tel essaye d’éteindre un feu
Et je le souffle en catimini

Tel ouvre une fermeture éclair
Dans le thorax d’un malade et descend

Chirurgie verte trop complexe
Pour moi, je renonce à regarder

Untel est réfractaire à son sanglier
Untel demande une porte et de la lumière

Untel doit mener sa chanson
Jusqu’à l’air frais du ciel

Untel a besoin que l’on éclaire la jetée
Au débouché du tunnel dans sa falaise

Untel est la vieille bagnole en tête
Dans une course acérée

L’aile brasse l’aile brasse l’aile brasse
Envoie promener les copeaux

De la torréfaction de vos noyaux durs
Durant toute cette nuit de combat

Et tout à coup, je semble aimanté
Par la vaste emprise de la hargne

Merde alors, il faut déjà remiser l’aile
Et rendre la monnaie de chaque pas

Ne chausse pas de fers à cheval
Si tu veux marcher sur l’eau.

15 septembre 2007, Stockach, Tyrol autrichien

Demain prochain

Nos prochains territoires sauvages
Seront inhumains

À Tchernobyl, on inaugure un parc
Modèle

Je crains qu’il faille
Y frôler des fantômes

Je suis debout, habillé pour sortir
Dans l’appartement presque vide

J’écris sans savoir
Si quelqu’un pourra lire

Ni si l’an prochain
Nous laissera la parole.

10 mars 2007, Douarnenez, 3 heures 37