L’examen Moyak

Photo Pascal Rueff

ACTE 3 SCÈNE 1

[Andréa]
L’avocat s’est barré, le candidat s’est endormi, état flasque, il rêve.

[Victor]
Le principe est simple.
Chaque fois que tu cites une marque commerciale dans la conversation, ton implant le sait, paf, tu touches zéro un centime du mot, tarif du mois dernier.
Faut prononcer correctement et éviter de coller des mots vulgaires dans la même phrase. Les répétitions bêtes ne comptent pas
Il faut être dans un contexte normal, discuter avec ses potes en sirotant sa Läegerschouk. Pof, Läegerschouk, zéro virgule un centime.
Au début, t’as pas très envie de marcher dans la combine et à la fin du mois, tu vois que t’as quand même gagné un ou deux balles…
Tu t’es même pas rendu compte qu’en parlant normalement, tu gagnais du fric !
J’veux bien une p’tite bière, beauté, s’il te plait…

[Sasha]
Donc, en gros…
Tu veux mettre une capote, c’est ça ?

[Victor]
Ouaoh…
Son p’tit nid est infesté par du plutonium, elle se rappelle pas ? Cancérigène au millionième de gramme, c’est écrit en gras dans le manuel.

[Sasha]
Eh ben, peut-être que ça enlèvera des organes inutiles… Peut-être que mes enfants sauront pas compter…

[Victor]
T’es vraiment givrée ! Les familles sont interdites. Tu trouveras personne pour t’engrosser…

[Sasha]
Hum…

[Victor]
On t’a baisé ?!

[Sasha]
Da.

[Victor]
Putain…

[Sasha]
Tu t’es fait traire mon vieux.

[Victor]
Quoi ?!

[Sasha]
Pendant ta cuite.

[Victor]
J’te dénonce !

[Sasha]
Kabân t’as donné de l’alcool, tu l’as bu et tu m’as fécondé, cul nu dans le plutonium.
Hormis ce détail qui m’amusait, ce fut strictement technique. Si tu ne veux pas finir en camp de chômage, ils ne doivent pas choper les gosses.

[Victor]
Je vais te dénoncer.

[Sasha]
J’ai dit : nous sommes obnubilés par les détails.
Il vaut mieux que tu restes dans les parages. Si ce bébé ne marche pas, faudra s’y remettre. T’es pas mal, comme clebs…
Avec tous vos engins, on ne sait plus où enterrer les petits. Si l’agence trouve un cadavre illégal, elle remonte au père.
Dans une ou deux générations, ça ira mieux.
Qu’est-ce que tu décides ?
Tu fais reproducteur par ici ou je te tue ?

ACTE 3 SCÈNE 2

[Sasha]
Nous sommes ici…
Dans le dernier dépôt connu…
… de la part de Dieu.

[Frère de Victor]
Qu’est-ce que la part de Dieu ?

[Victor]
Il ne fallait pas… l’inviter !

[Frère de Victor]
Je suis chez moi…
Tu as trouvé Dieu, frérot ?

[Sasha]
Nous sommes ici…
Dans le dernier dépôt connu…
… de la part de Dieu.
… Inexploitable…
… Infranchissable…

[Frère de Victor]
Tu crois, parce que tu as souffert…

[Sasha]
… Indicible…

[Frère de Victor]
De quoi a-t-il souffert ?… Ah oui ! Madame est morte ! Tu crois que tu peux flotter vingt centimètres au-dessus du régime général ? Et nous pomper l’air…

[Sasha]
… Indomptable…
… Aucune et toutes les langues…
… Imprévisible, irrécupérable…
… Immature à jamais et parfaite…

[Victor]
Il ne peut pas approcher, il ne peut pas approcher, il ne peut pas approcher. C’est étanche. C’est trop loin…
[Sasha]
Et qui toujours nous précède, la demi-seconde, le millimètre, le petit surcroit de vitesse… Quasi rien.
La preuve définitive, le trésor…

[Frère de Victor]
Combien d’excités dans ton genre ont planté leurs quenottes crades dans le gras de Dieu, frérot ?
Ce n’est plus Dieu, c’est Moby Dick ! Et un milliard de tiques, mon pote.
Car Monsieur Victor croit en Dieu… Son grand frère ne suffisait plus !

[Victor]
Fallait pas l’inviter !

[Sasha]
Je reconnais que mes enfants sortiront d’une manigance, si on veut.
Pour autant, les enfants sont fragiles, vraiment longs à finir et on ne peut pas se permettre d’en perdre tellement. Il vaudrait mieux les pondre par dix mille et qu’en trois semaines ils se démerdent. Quitte à faire une croix sur les trois quarts. Mais ce n’est pas notre lot.
Les choses sont bien claires dans ma tête.

[Frère de Victor]
Oh ! Tu nous les brises avec tes extases douloureuses ! Nous sommes des colons… Point.
Tu veux vraiment t’installer dans cette cabane, mon frère ? Avec cette folle ?
Pardon
Comment t’as trouvé ce dépôt… J’avais même pas idée qu’il en restait….

[Sasha]
Ne dites rien, Victor…

[Frère de Victor]
Nous ne sommes pas faits pour contempler la perfection, mais pour la remettre en train, à coup de pompe dans le cul, voilà…

[Sasha]
Quelquefois le train du vent plonge vers nous. On l’entend déplacer les troncs, descendre au ralenti. Sa masse invisible nous ébouriffe cinq secondes. Il sent le nord.
On peut dire que la vie est un rêve, ici.

[Frère de Victor]
Les miracles nous horripilent…
Une carapace, je la pied de biche, un mystère, je le défonce, un à-pic, je le décime, une petite garce, je lui cause cinq minutes…

[Sasha]
Ne dites rien, Victor…

[Frère de Victor]
Je vais te dire mon frère : installe-toi dans ce trou, fais des gosses… et on saura comment te faire mal. On lâchera les chiens…
Les nouveaux… avec les dents de tyrannosaures.
Pardon…
Tu vois, t’auras pas de suite.
Tu vois pas ce que c’est un tyrannosaure ?
J’avais même pas idée qu’il en restait…

[Sasha]
Ne dites rien…

[Frère de Victor]
C’est l’avenir du clebs. Et tu sais pas pourquoi ? Parce que nous sommes des colons et qu’un colon, ça veut bien mordre.

[Sasha]
Sans amour, Victor…

[Andréa]
Sans… zamour…. Vict or…

[Frère de Victor]
Les saintes me fatiguent…
Fourre-toi cent grammes de langue de bois dans l’épicentre !

ACTE 3 SCÈNE 3

[Frère de Victor]
Le candidat est porteur d’un projet très en phase avec le territoire, puisqu’il s’agit de régénérer les tribus de la zone, avec une approche musicale qui permettra de déstresser les populations, notamment…
Dans un premier temps, le projet prévoit de faire intervenir une chanteuse ethnique professionnelle, d’aménager un espace scénique de convivialité et d’équiper un véhicule snack-bar, sans alcool, mais avec une belle palette de préparations savoureuses à base de glands…
Dans un deuxième temps, le candidat apprend aux juvéniles à infecter tranquillement l’ensemble des populations, avec un rendez-vous hebdomadaire de type radio-crochet. Un atelier cuisine est prévu. Ainsi, les populations deviennent acteurs de leur projet. Actrices.
Le dispositif est complété par le cybercafé, dont les facilités (webcam et réseaux sociaux notamment) permettent de procéder sans violence à un recensement précis des familles et des habitudes. Un grand concert, troisième temps, marque les esprits pour des années.
Il commence par le concours de grognements, puis le candidat ici présent offre à l’ensemble des sangliers du district de Poliské, si durement touchés, une performance live à base d’instruments fédérateurs, comme la guitare saturée, ou la bombarde par exemple…
On pourrait remettre l’électricité ?

ACTE 3 SCÈNE 4

[Andréa]
Ma chère Sasha, notre Victor, s’est débarrassé de son grand frère, et de quelques autres parasites de la tête. Il est tout propre. L’essorage est terminé. Le cycle est terminé. L’examen est terminé.
Oh, il a fait un gros travail. Il s’est débarrassé d’un énorme parasite à tête d’avocat, il a renoncé à la bière, aux capotes… il a cloué le bec à son frère, il a très très bien régressé.
Il avait choisi « bouillon », donc actuellement notre Victor est un beau bébé dans sa tête, tout propre. Tout s’est très bien passé, ma chère Sasha.
Et franchement, son potentiel d’enfants est encore énorme… Des bons gosses, à perte de vue, bien vifs, bien remuants, des hectares de gosses, à vouloir le sein…

[Sasha]
Chut…
Je te changerai plus tard…
D’abord, Victor…
Il a fallu partir.
Nous avons laissé le village…
Les morts tout frais et les très vieux morts et les siècles de notre présence.
Il faut que tu saches, petit Victor, Homo Sapiens s’arrête en 1986. Après vient l’homme anormal.
Le bus démarrait et les chiens courraient derrière le monde normal.
Il y en a toujours un pour courir plus longtemps que les autres. Les routes sont plates et droites chez nous, le chien finit par se dissoudre dans un mélange de poussière et de lumière et c’est vraiment comme si le monde familier fermait ses portes. C’est à la fois ce qui me foudroie et m’allège de tout ici. Le monde s’en va et je regarde les chiens…
Nous sommes un peu obnubilés par les détails.
Bienvenue, petit Victor dans le monde qui s’est échappé.
Tu vois, nous avons eu l’accident et maintenant, la guerre est revenue. C’est normal de se cacher, Victor.
Et moi, je me cache ici…
Il dort.

ACTE 3 SCÈNE 5

[Sasha]
Je ne sais pas s’il fera un bon papa, mais il s’est bien fait secouer.

[Andréa]
Yep ! J’aime beaucoup les histoires de reproduction humaine.
Mais votre adéhaine est le pire système d’exploitation que je connaisse. Se reproduire sans cesse, sans cesse, sans cesse… Ma pauvre Sasha, ce n’est pas une vie.

[Sasha]
Mets-lui un truc tranquille.

[Andréa]
Galop.
Arbre.

[Sasha]
Qu’est-ce que tu penses de ce Victor ?

[Andréa]
Ces archives du début du siècle, sont idéales. Pour ton émission.

[Sasha]
Bon, tu ne veux pas me dire ce que tu penses de ce Victor…

[Andréa]
Je pense qu’une guitare, bloque la remorque.
Merci. Je suis un peu démunie face aux guitares…
Et faut que j’aille pisser.

ACTE 3 SCÈNE 6

[Andréa]
Je t’ai promis de fabriquer du sperme. Avec les produits locaux, ce n’est pas si facile. Trouve un mari : il n’y a pas mieux pour fabriquer du sperme.
Voyons celui-lui de ce Victor-tor tor tor tor
Désolé, j’ai encore une mairde.
Je m’appelle An-dréa.
Je suis un Mémorial Robotisé Mobile
Et blablablablablablabla blablablablablablabla blablablablablablabla blablablablablablabla blablablablablablabla…

[Sasha]
Classe SPATIH, station parlante ambulante en territoires inhumains…
En mission d’un siècle en Ukraine du Nord.

[Andréa]
Mon client a souhaité que je dise une minute de poésie chaque jour, pour personne.
J’obéis, même si m’emmerde.
Maman, j’aimerais beaucoup essayer cette tête…
C’est drôle… J’étais censée glander toute seule pendant un siècle, mais la guerre vous a poussé dans ma tendre enfance, chère maman, toi et tes idées délicieusement humaines. Résultat : je préfère la vie avec toi.
Comment tu me trouves avec cette tête ?

[Sasha]
Tu as l’air de l’ogre… Et mon Victor ?
Allez… va jouer…

[Andréa]
Pourquoi. Tu ne veux pas. Te marier avec une femme. Nous avons reçu une magnifique candidature. Elle a des idées pour élever les enfants….

[Sasha]
Des idées valables ?

[Andréa]
Plutôt monoparentales. Voici sa conclusion : « Blablabla… Lui a mangé son petit pied… raison pour laquelle, l’exemple est éloquent : il faut se débarrasser des pères au plus tôt. Dès que la grossesse est sûre, agissez de manière expéditive, et enterrez-le loin.
Le mâle est souvent lourd, il suffit de le débiter… »

[Sasha]
Oui, Madame.

[Andréa]
Yep. « Chère Madame… Votre candidature intitulée, « Si vous ne voyez pas que je suis le genre de personne idéal », a retenu toute notre attention. Je serais ravie de vous soumettre à quelques tests sexuels. Avez-vous peur des très petites araignées ?
Ah, le revoilà…

[Sasha]
Ou bien tu me dis ce que tu penses de Victor ou bien je te prive d’histoires de cul…

[Andréa]
Seize jacinthes sèchent dans seize sachets secs. Seize jacinthes sèchent dans seize sachets secs. Seize jacinthes sèchent dans seize sachets secs. Seize jacinthes sèchent dans seize sachets secs. Sachets secs, Sachets secs. Sachets secs ? Sachets secs.
La solitude. Mon cul. On est sans cesse dérangés par des idées délicieuses.

ACTE 3 SCÈNE 7

[Sasha]
Actuellement, Andréa décrypte les spermatos de l’ex-statisticien Victor Lipch qui va peut-être se marier avec nous…

Tu fais super bien l’animatrice, j’ai tout de suite adoré… Mais sois franche : comment tu le trouves, toi, ce Victor ?

[Sasha]
On dirait un adéhaine… de qualité…
De là à le porter neuf mois…

[Andréa]
Il a quand même demandé une femme !

[Sasha]
Comment on se sent dedans, tu crois ?

[Andréa]
On doit s’habituer, j’imagine
On s’en fout, non ?

[Sasha]
Je pense qu’il est parfait. D’ailleurs, ça tombe bien, nous n’avons que celui-là.

[Andréa]
Alors, il est l’heure d’aller regarder sa descendance… Ma chère Sasha, chers sangliers… En piste !